Le 21 mai 1979, le Front sandiniste déclenche l’insurrection générale du Nicaragua. Le tout premier objectif est de chasser du pouvoir Anastasio Somoza, dernier de la lignée de la famille de dictateurs qui, installés par les Américains, pillent le pays depuis 1933. Trois colonnes de milliers de guérilleros, bien armés et bien entraînés, montent sur la capitale, Managua, avec pour seul cri: “La liberté ou la mort”.

Mais les villes n'attendent pas l'arrivée des libérateurs et se soulèvent les unes après les autres. J'atteins Léon, la seconde ville du pays, au début du mois de juin. Les rues sont jonchées de cadavres, les magasins sont pillés. Cinq mille miliciens, pour la plupart très jeunes et mal armés, attaquent sans répit la "Guardia", la garde prétorienne de Somoza, retranchée sur une hauteur à quelques kilomètres, dans le centre-ville, dans un fortin-prison qui domine l'agglomération.

La "Guardia", de peur de toucher ses propres familles, qui habitent la ville, n'utilisera guère son artillerie. Mais deux avions, arrivés de la capitale et armés de mitrailleuses de 50 mm, se relaient dès le petit matin pour attaquer les positions rebelles et larguer — à la main, comme pendant la guerre de 1914-18 — des bombes de 25 kg qui effraient plus qu'elles ne commettent de dégâts mais mettent les nerfs à rude épreuve.

Néanmoins, affamés, harcelés, les gardes nationaux perdent espoir et désertent peu à peu. La garnison capitulera le 19 juin, un mois avant la capitale. Somoza réussira à s'enfuir grâce à l'aide des Forces spéciales américaines. Mais un commando sandiniste le retrouvera dans son exil doré du Paraguay quelques mois plus tard et le tuera. Les sandinistes prendront le pouvoir, tandis que les somozistes, une fois de plus aidés par les Américains, entreront dans le maquis, entraînant les vainqueurs dans une guerre longue et coûteuse. La guerre des Contras.

Vingt années après ces heures de gloire et d'espoir, j'ai retrouvé plus d'une centaine de photos. Tel un enquêteur de police, je suis retourné là-bas et j'ai fait du porte-à-porte dans les rues de Léon pour retrouver ces combattants et savoir ce qu'ils étaient devenus. Cela n'a pas été facile parce que les guérilleros ne se connaissaient guère les uns les autres. Beaucoup ont été tués dans les combats contre les Contras, d'autres ont déménagé ou sont allés chercher du travail en Amérique ou dans les pays voisins.

Si les dirigeants révolutionnaires, peu à peu gangrénés par la corruption, l'affairisme et les scandales, ont perdu le pouvoir après les élections, les "Muchachos", eux, ont perdu leurs illusions. Et l'espoir de vivre un jour autrement que dans la misère.

Benoît Gysembergh

Une exposition réalisée grâce au soutien du Ministère de la Culture.

Benoît Gysembergh

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