Comme le Népal n’intéressait pas grand monde malgré les nouveaux enjeux politiques, Noël Quidu y est allé. Depuis l’instauration de la monarchie absolue par Gyanendra, monté sur le trône après le régicide shakespearien de 2001, puis le soulèvement populaire d’avril 2006, il savait que la transformation de l’ultime royaume hindouiste de la planète en république maoïste, risquait de se faire dans la douleur. La haine de l’injustice et une certaine tendresse pour l’humanité ont doté Quidu d’une prescience de l’événement, une sorte de regard visionnaire sur l’Histoire. Photographe d’investigation et journaliste engagé, il anticipe.

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En avril 2008, après dix ans de terreur et 13 000 morts, les rebelles maos, soutenus par une population miséreuse et affamée, prennent la capitale par les urnes, sans tirer un coup de feu, mais sous la sombre menace d’un retour à la guérilla. Les photos de Quidu racontent la mutation insidieuse qui s’opère au cœur d’un pays coincé entre l’Inde démocratique, la Chine au capitalisme totalitaire et le Tibet occupé. Elles révèlent cette réalité embarrassante et politiquement incorrecte que le monde ne veut pas voir, l’empreinte d’une idéologie directement inspirée du Grand Timonier, penché comme une ombre paternelle sur l’esprit de ce peuple fragile dont 60% est illettré et 40% vit sous le seuil de pauvreté. Le 10 avril 2008, le Parti communiste maoïste népalais remporte une majorité simple au sein de l’Assemblée constituante, mais il devra composer avec d’autres partis qui ne sont pas prêts pour un changement aussi radical. Quidu est à Katmandou le jour de la victoire. Prachanda, «le Terrible», ex-chef de l’Armée de Libération Populaire, classée mouvement terroriste par les Etats-Unis, est désormais protégé par l’armée qui l’a pourchassé pendant dix ans. Il ne sourit pas. Comme ceux des dignitaires et des partisans maoïstes, son visage est dur, fermé, déterminé. Le 15 août, il est élu Premier ministre du Népal avec une majorité écrasante à l’Assemblée Constituante. Des dizaines de milliers de jeunes désœuvrés ont rejoint les maos en 2006, quand les rebelles sont sortis de la dissidence. À Pokhara, la Ligue de la Jeunesse communiste casse des pierres et détruit les propriétés privées pour construire une route improbable autour du lac. Le soir, ses membres participent à des séances d’autocritique et de délation, comme au bon vieux temps de la révolution culturelle. Ils sont 1 million au Népal, dont certains, ex-combattants aux méthodes de caïds, ne savent rien faire d’autre que la guerre.

Presque chaque jour à Katmandou, depuis la sanglante répression de l’armée chinoise à Lhassa en mars dernier, l’armée non-violente du dalaï-lama va au combat. Les réfugiés tibétains organisent des manifestations pacifiques devant le consulat de l’ambassade de Chine, violemment réprimées par la police népalaise, sous ordre à peine dissimulé de Pékin. Ils n’ont jamais cessé de manifester sauf lors du tremblement de terre au Sichuan, où ils ont prié pour les victimes chinoises. Le 8 août 2008, jour de l’ouverture des Jeux Olympiques,1400 d’entre eux ont été arrêtés. Obligés de quitter leur pays à cause des maos, les Tibétains, débonnaires, se retrouvent à nouveau confrontés à la répression qu’ils avaient fuie. Noël Quidu est là chaque jour, parce que l’on ne doit pas oublier que la politique économique de la planète s’acharne à enterrer vivante la politique de la paix menée depuis bientôt cinquante ans par le dalaï-lama. Le 11 juin, après un discours contrit et de vagues excuses, le monarque déchu Gyanendra quitte le palais de Narayanhiti, où la dynastie des Shahs a régné durant deux cent trente-neuf ans, et abandonne pour toujours son fauteuil de brocart rouge sans avoir répondu à une seule des questions que les journalistes tentaient de lui poser, au nom du peuple népalais. Alors, à tour de rôle, ils se sont photographiés, assis sur le fauteuil rouge où seul le roi honni, très lointain avatar de Vishnu, pouvait, de droit divin, poser son auguste postérieur. Si les images que Noël Quidu a prises ce soir-là sont les plus gaies de ce douloureux reportage, elles ont, comme les autres, la tragique vérité de l’instant. Un instant de joie éphémère dans un pays où se profile la première révolution communiste du XXIème siècle, système que l’on croyait à jamais révolu.

Claudine Vernier-Palliez

Noël Quidu

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