LAURÉAT DU PRIX KODAK DU JEUNE REPORTER 1999

Pour les 2500 habitants de Muslumovo, situé dans la partie sud-est de l’Oural, la rivière qui traverse le village est comme la vie, un fleuve aux eaux tranquilles. Mais ce cours d’eau n’a de bienveillant que son apparence.

Depuis près de 50 ans, ses courants charrient une charge létale de radioactivité; aujourd’hui, les niveaux de certains isotopes, tels le Strontium 90 et le Césium 137 sont si élevés qu’à certains endroits, ils sont près de 50 fois supérieurs aux valeurs de radioactivité de fond naturelle.

Les eaux sont particulièrement plus profondes au nord de Muslomovo, aux abords du Combinat Chimique de Mayak, source de tous les malheurs du village. Cette usine fut construite en 1945 pour produire le plutonium de la première bombe nucléaire soviètique, dans une course contre la montre qui opposait l'Union Soviétique aux Etats-Unis. Suite à une série d'erreurs de jugement et de problèmes techniques, Mayak est devenue l'une des plus grande catastrophes écologiques de l'histoire. De 1949 à 1956, afin de contourner le problème de stockage des déchets, 76 millions de m3 d'effluents radioactifs furent déversés dans la rivière.

Entre 1953 et 1960, six villages sur les berges de la Techa furent évacués et réduits en cendres. Le seul qui ne fut pas vidé de ses habitants fut Muslomovo, bien que ce village soit situé plus près de Mayak que plusieurs des villages brûlés. Aujourd'hui, les villageois soupçonnent les Soviétiques de les avoir utilisés comme cobayes dans le cadre d'une grotesque expérience sur les effets de la pollution radioactive. Les autorités nient tout en bloc, bien sûr, mais personne n'est à même de fournir d'explication sur le fait que Muslomovo ait été le seul village à n'avoir pas été évacué.

Bien qu'une étude russo-norvégienne publiée en octobre 1997 ait conclu que l'eau n'est plus radioactive, les polluants ont formé un sédiment tapissant le lit de la rivière, les prairies, les champs et recouvrant la végétation. Les anciens se souviennent du temps où le village ne comptait que deux cimetières, l'un chrétien et l'autre musulman. Aujourd'hui le conseil municipal se demande où mettre le septième.

Au début du mois d'avril 1998, Nicolaï Fuglsig, photographe, et Mads Lindberg, journaliste, se rendirent en Russie, près de Chelyabinsk, pour y rencontrer les habitants de Muslomovo. Les deux Danois y découvrirent une macabre histoire qu'ils se devaient de révéler, avec le plus grand respect pour tous ceux qui furent exposés à un niveau intense de pollution nucléaire – et qui furent laissés dans l'ignorance pendant près d'un demi-siècle.

Mads Lindberg

Nicolaï Fuglsig

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