Ils sont aujourd’hui 22 au Laos et un centaine en Thaïlande. Les Mlabri sont les derniers nomades chasseurs-cueilleurs survivant dans les forêts à la frontière-nord de ces deux pays. Une minorité ethnique en voie d’extinction, d’ici 10 à 20 ans, prévoient les ethnologues.

avent1.jpg
avent2.jpg

“Phi Tong Luang”, le peuple des feuilles jaunes, doit son nom à ses abris de fortune qu’il construit dans la jungle à l’aide de bambous et de feuilles de bananiers, et qu’il quitte dès que les feuilles jaunissent. Ces nomades chasseurs-cueilleurs vivent au Laos (province du Xayaburi) et en Thaïlande (provinces de Nan et Phrae). Ils se déplacent tous les 5 à 15 jours, dans un périmètre d’environ 900 km_, fouillent le sol à la recherche de racines et de tubercules ; récoltent le miel des abeilles sauvages ; cueillent des baies, des fruits, des fleurs ; chassent à la lance ; piègent des oiseaux ; ou encore ramassent crabes et crustacés dans les rivières. La forêt tropicale est leur principale raison-d’être. Pour les Mlabri qui, pendant de longs siècles, des millénaires peut-être, ont vécu ainsi en totale harmonie avec la jungle, le XXe siècle a été fatal. Depuis quelques décennies, ce peuple particulièrement pacifiste assiste impuissant à la destruction de sa forêt nourricière qui rétrécit comme peau de chagrin. Les coupes systématiques de bois précieux et les cultures sur brûlis ont aujourd’hui fait disparaître 80% de la forêt thaïlandaise. Victime des conflits militaires, chassée de son habitat naturel, asservie par ses voisins sédentaires, la population mlabri n’a cessé de décroître. Il y a un siècle, 180 Mlabri vivaient au Laos. En 1985, ils étaient 67 et ne sont plus que 22 aujourd’hui : 6 hommes, 9 femmes et 7 enfants. En Thaïlande, ils seraient une centaine dont la moitié quasiment sédentarisée. Exsangue, la forêt ne peut plus les nourrir. Ils dépendent pour survivre des peuples voisins. En échange d’un peu de riz, d’un cochon, de sel, de vêtements ou de couvertures, les nomades vendent leur main-d’œuvre aux Hmong et aux Thaï. Dans un état de semi-esclavage, ils travaillent dans les champs et défrichent les parcelles. Cruel paradoxe : pour ne pas mourir de faim, les Mlabri participent au processus de destruction de leur propre forêt. Les collines autrefois recouvertes de jungle sont devenues des terres agricoles ravinées par les pluies et fatalement arides à la saison sèche.

Parmi les minorités en voie d’extinction dans le monde, les Mlabri figurent tristement en première ligne. Dans leurs regards se lit le désespoir d’un peuple conscient de son destin et de son extrême vulnérabilité. Certains ont choisi de poursuivre leur vie aborigène, jusqu’à ce que la nuit les anéantisse tous. D’autres retournent en forêt pour quelques jours, avant de revenir errer, hagards, affamés, près des villages où ils finissent par s’installer. Des mariages hmong-mlabri ont lieu. Les enfants Mlabri s’assoient sur les même bancs que les Hmong et les Thaï à l’école du village. D’ici une ou deux générations, les jeunes mlabri auront totalement oublié leur vie en forêt. D’ici dix à vingt ans, “le peuple de la forêt” aura certainement disparu, prévoient les ethnologues.

Programmes d'assistance
Laurent Chazée, ethnologue français, tente de protéger les 22 derniers Mlabri vivant au Laos. Soutenu par ICRA (International Commission for the Rights of Arboriginal Peoples - Commission Internationale pour les Droits des Peuples Indigènes), l’Ambassade de Hollande à Bangkok et la société Vientiane International Consultants, il a convaincu les autorités de la province du Xayaburi de protéger les ultimes représentants de cette tribu. Laurent Chazée a mis en place un projet de recherche, de préservation, de développement et de soutien à la communauté respectant sa volonté d’indépendance et ses valeurs ancestrales. Le programme assure aux Mlabri un suivi sanitaire régulier assuré en forêt par un médecin local ; des interventions d’urgence en cas d’accidents ; des abris de sécurité équipés de vêtements et de couvertures pour que les plus faibles y trouvent facilement refuge. Depuis mai 2000, une nouvelle résolution provinciale reconnaît l’identité culturelle et territoriale des Mlabri.

En Thaïlande, aucun programme d’assistance aux Mlabri n’existe qui respecte leur culture. Le gouverneur de la province de Nan a fait construire des habitations sommaires pour les Mlabri travaillant pour les Hmongs, et les enfants qui y habitent doivent être scolarisés. Certains Thaïlandais n’hésitent pas à faire du peuple des feuilles jaunes une attraction pour touristes en quête d’authentique folklore tribal. Les nomades sont alors exhibés tels de “bons sauvages” dans un zoo humain. Pire, un missionnaire américain de la puissante New Tribes Mission a créé “Le Centre de Conservation et de Développement du Peuple des Feuilles Jaunes”. Un nom pompeux qui masque une tout autre réalité. Le missionnaire souhaite convertir les Mlabri au christianisme, les intégrer au reste de la population thaï, mais surtout les maintenir le plus longtemps possible à son service personnel.

Reportage réalisé à l’aide d’ICRA (International Commission for the Rights of Arboriginal Peoples Commission Internationale pour les Droits des Peuples Indigènes).

Patrick Aventurier

aventurier.jpg
Suivre sur
Voir les archives