Les conflits de notre époque n’ont plus lieu entre plusieurs pays, mais à l’intérieur de frontières nationales. La guerre moderne ne fait plus intervenir des armées mais des unités hétérogènes. Par le biais de mon travail, j’explore le contexte moral générées des conflits qui font rage en Afrique aujourd’hui et son résultat : une génération déchirée. Ce reportage ne porte pas sur des enfants soldats ni sur des gosses en uniforme. J’essaie plutôt de démontrer que des pays abritent derrière leurs frontières ceux qui ont commis des atrocités avant d’avoir atteint l’âge de raison. Ce sont de jeunes esprits qui se sont formés dans une société fondée sur des valeurs telles que la détention d’armes à feu et le pouvoir de laisser la vie ou donner la mort.

Au Sierra Leone, l’histoire de Safia est classique. Il avait neuf ans lorsque ses parents ont été massacrés. Capturé par les rebelles et contraint d’avaler de la poudre à canon, il a participé à des viol, des séances de torture et des assassinats. Aujourd’hui, à Freetown, sans domicile et sans travail, régulièrement pris de crises de dépression et de violence, Safia est un jeune homme gravement perturbé.

Je souhaite que ces images montrent clairement que ces enfants ne sont pas mauvais, mais ont été soumis à une indicible férocité. Sur ces champs de bataille, il n’y a plus de règles. Les conflits qui sévissent en Afrique en cette fin du XXème siècle trouvent leur force motrice dans la sexualité débridée des jeunes adolescents, la disponibilité d’armes dangereuses, et la “culture Rambo”f (Michael Ignatieff). Cette violence est imprévisible, sauvage et sadique. Le traditionnel honneur du guerrier n’existe pas. Pour certains enfants, tuer est un jeu dont la vie est l’objet. Des dizaines de milliers d’enfants sont enrôlés, de gré ou de force, et envoyés au front; profondément marqués par tant de brutalité, il génèrent à leur tour des sociétés où règnent la violence et la sauvagerie.

Certes, la prolifération d’armes légères de petit format y contribue, mais les enfants représentent un contingent que l’on manipule facilement et que l’on nourrit à peu de frais. Fréquemment, ils sont drogués de force et obligés à participer à des atrocités (y compris l’assassinat de leurs propres parents), renforçant ainsi la socialisation de la violence et de l’obéissance. Le recrutement d’enfants soldats n’est pas nouveau, bien sûr, mais l’ampleur du phénomène et l’acceptation de telles manipulations sont alarmants.

Depuis l’essai de Robert Kaplan, “ The Coming Anarchy “ (L’Anarchie à Venir), il est de bon ton de considérer que cette violence “ absurde “ constitue le microcosme d’une planète poussée à la guerre par la surpopulation, la crise écologique et le tribalisme. Tels des “ molécules en liberté “, des jeunes au comportement violent se livrent à des massacres et à des viols. C’est cette “ nouvelle barbarie “ qui dépasse l’entendement (pour nous occidentaux). Argument facile ! A mon sens, nous nous rendons coupables d’une forme moderne de misanthropie, à savoir que le journal télévisé nous renvoie des images d’un monde (” là-bas “) à tel point régi par la folie, que “ nous “, à l’abri dans notre hémisphère occidental, ne pouvons pas le comprendre.

Ces enfants, ces jeunes, ne sont que des pions dans un vaste conflit géopolitique dont le théâtre est l’Afrique. A mesure que les états implosent aux mains des chefs de guerre et des prétendus messies, les sociétés qui les cimentent s’effondrent elles aussi. La sauvagerie existe en Afrique, mais je ne la crois pas plus inhérente ici qu’ailleurs. Maitenant que la guerre froide est finie, l’intervention des pays occidentaux ne se justifie plus. En détournant le regard nous accusons les victimes.

Sans considérer l’Afrique comme le pays des ténèbres, c’est à nos risques et périls que nous fermons les yeux sur une génération d’esprits jeunes et manipulés; l’insécurité et l’attentisme nous perdront.

Stuart Freedman, Mai 1998.

Stuart Freedman

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