L’île de Madagascar, estiment les Européens, est plus grande que la France et la Belgique réunies. À première vue, cela peut sembler exact. En vérité, elle est beaucoup plus vaste. Car celui qui parcourt cette terre étrange ne peut pas mesurer son chemin en simples kilomètres. Ici, l’étranger n’a pas forcément l’impression d’aller loin, mais plutôt de voyager longtemps. Mais là aussi, inutile de compter en jour où en semaines.
La véritable distance parcourue apparaît dans le formidable éloignement de ce qu’il y avait avant le voyage. Comme si, détournée par un magnétisme inconnu, la mémoire perdait le nord. Ainsi, voyager à Madagascar comporte un risque. Celui de se faire aspirer par un autre temps dont nous n’arrivons pas à capter le rythme. Perplexes, nous finissons par classer le Temps malgache comme apparenté au nôtre, c’est-à-dire à notre propre passé économique et culturel. À ces temps obscurs où nous n’étions pas encore modernes.

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Notre voyage nous ramène-t-il donc vers un monde primitif, conservé tel par la misère, les superstitions, le manque d’ internet ? Non, en dehors de la colonisation et de quelques souvenirs de pirates, Madagascar ne nous doit rien.

Le voyageur serait bien avisé d’accepter le Temps malgache en tant que tel. Il n’y trouvera ni son passé ni aucune trace d’une préhistoire de la modernité européenne.

Seulement l’héritage lémurien : un univers qui se plaît à faire coexister sept espèces de baobabs, cent quarante-six sortes de grenouilles, près de la moitié des cent trente et une variétés connues du caméléon qui d’ailleurs, selon les Malgaches, garde un œil sur le passé pendant que l’autre cherche l’avenir. En face à une telle richesse des espèces, comment s’étonner du nombre et de la diversité des esprits malgaches ? De leur côté dominateur ? En Lémurie aussi-semble-t-il les morts imposaient leurs lois aux vivants. Alors l’étranger doit se préparer à des rencontres intemporelles : où qu'il aille dans l'île, les ancêtres l'y attendront. "Physiquement ", encore momifiés, sous forme d'ossements exhumés, de linceuls pourris et chéris.

Certains n’y verront que mœurs macabres. D’autres sauront comprendre qu’en vivant avec les morts, l’homme se rapproche de Zanahary, "Seigneur parfumé" et Dieu unique qui commande aux ancêtres. C’est lui l’horloger du temps malgache.

Michael Stuhrenberg

Les photos de cette exposition sont extraites du livre : " Madagascar : Voyage dans un monde à part " aux Editions Vents de Sable. Sortie Septembre 2001.

Pascal Maitre

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