Si la sage appréhension du monde vient avec l’âge, la connaissance de l’Afrique s’accommode assez bien de l’insatiable curiosité de l’enfance. Qu’on ajoute les racines de coeur, un arrière-grand-père boulanger à Douala, un père ophtalmologiste à Bamako, on imagine le bonheur d’une petite fille de partager les premières années de sa vie entre Perpignan,le Sénégal et le Mali.

Devenue grande, Lucille Reyboz étudie l’histoire de l’Art à Toulouse, avec une préférence pour la culture africaine. A l’Espace Saint-Cyprien, avec l’atelier Martine Michard, elle expose ses photographies de Casamance. Et elle décide qu’elle sera photographe.

Elle affine sa technique par un stage à l’Efet, à Paris, devient l’assistante de Louis Jammes, un ancien de l’école, avant de travailler avec Pierre Terrasson, photographe spécialisé dans la musique.

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Quand elle commence sa carrière en solo en 1997, Lucille a tout juste 24 ans et devant elle les champs, immenses et lumineux, de ses projets : l'art, plus particulièrement les musiciens, et, plus profondément, l'Afrique. Un jour, à Lomé, un article de la revue Balafon sur les Tamberma du Nord Togo l'intrigue. Pour les ethnologues, ce peuple animiste, épargné par les vues civilisatrices des colons allemands et français, reste un sujet d'étude du plus haut intérêt. Pour la jeune photographe, les Tamberma forment surtout une communauté accueillante et vivante, dont elle partagera l'existence pendant une bonne partie de l'année 2000.

L'endroit, d'abord, est singulier. De la brousse du pays Tamberma pareille à tant d'autres, surgissent des constructions d'argile ocre qui ne ressemblent pas vraiment à des cases. On dirait quelques forteresses plantées là, éparpillées aux marches du désert. Les architectes Tamberma sont en étroite connivence avec le ciel et les âmes. Bien plus qu'un refuge ou un abri, leurs «tatas» s'organisent en résonance avec une cosmogonie immémoriale, ils reconstruisent inlassablement l'univers.

Squelette de bois, chair d'argile, le tata conjugue le Nord et le Sud avec le masculin et le féminin, il s'ouvre par une bouche, veille à travers une paire d'yeux, partage son rez-de-chaussée entre l'étable des bêtes, le sanctuaire des dieux et les fétiches des ancêtres. Les vivants se retrouvent en famille à l'étage supérieur, sur ses terrasses rondes, sous le chaume des greniers. Quel reportage pourrait saisir et restituer cette relation étrange du groupe à l'édifice, des hommes à ces entrailles d'argile ?
Le récit ne pouvait venir que de l'intérieur, pour peu qu'on lui laissât le temps de s'installer, comme un souvenir d'enfance ou une vieille légende. Quand elle est arrivée au village de Koufitougou, Lucille a été reconnue par le chef comme la réincarnation de sa mère et on lui a construit son tata à l'emplacement de son choix.

Il n'en fallait pas plus pour que ses images, réalisées au rythme des fêtes et dans le respect des signes, soient elles-mêmes habitées d'esprits à peine moins visibles que les scarifications qui embellissent les adolescents et consacrent l'argile des maisons.

Hervé Le Goff

Lucille Reyboz

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