Le rideau tropical de la forêt amazonienne brésilienne et ses tribus indigènes légendaires cachent une grande diversité ethnique, en particulier le long des cours d’eau. Ces communautés furent établies par les pionniers participant à la ruée sur le caoutchouc, qui fuyaient la sécheresse de Bahía et du Nordeste.

Aujourd’hui, les habitants qui peuplent les berges du labyrinthe fluvial qu’est le bassin de l’Amazone sont souvent à plusieurs heures en bateau des voisins les plus proches, vivant sans électricité, sans eau courante, et presque sans services sociaux. Ne comptant sur personne d’autre qu’eux-mêmes, leur vie est intimement liée à la forêt et réglée par les lois de la nature et de la survie. En raison de leur isolement géographique et de leur anonymat, ces communautés amazoniennes ont été contraintes de préserver le métier traditionnel de sage-femme.

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Assurant un rôle qui va bien au-delà de celui d'intermédiaire clinique, ces "docteurs de la forêt" sont également devenues les gardiennes de la mémoire ancestrale. Dans ces communautés pour la plupart illettrées, les sages-femmes contribuent à pérenniser l'art du conte oral, seul lien entre les habitants et leur propre histoire, leur propre culture. Parce qu'elles assument cette fonction sacrée, leur rôle se trouve encore exhaussé au moment où se joue l'un des grands mystères de la vie, c'est-à-dire lorsqu'une femme donne la vie. Qu'elles avancent à pied le long d'un affluent du fleuve, ou qu'elle se faufilent le long des sentiers de la dense forêt pluviale, les sages-femmes sont le trait d'union entre des communautés éloignées, car elles préservent les histoires et la tradition orales, et assurent la formation de liens entre la mère et l'enfant avant, pendant et après la naissance.

C'est ce lien affectif, si souvent occulté par les stériles protocoles médicaux appliqués en Occident, qui permet à la femme d'exister pleinement, même dans la douleur. Dona Ilda, sage-femme dans l'état de Pará, l'explique ainsi : "Une femme doit avoir le courage d'affronter la douleur, car la force d'une femme courageuse est concentrée ici (elle indique le ventre). Je reconnais tout de suite à son ventre une femme courageuse".

Pour certaines de ces femmes, c'est le hasard qui fait qu'elles empruntent le long chemin qui fera d'elles des sages-femmes, tandis que d'autres y sont initiées par les "anciennes" de la famille, la mère, les tantes, la grand-mère. Toutes disent qu'elles possèdent un "don divin". Lorsque je lui demande comment elle est devenue sage-femme, Dona Raimunda répond : "c'est Dieu qui m'a appris". Les sages-femmes maîtrisent aussi tout naturellement les remèdes naturels traditionnels pour les maux les plus divers, et connaissent sur le bout des doigts les contes et légendes, vrais ou imaginaires, qui ont le pouvoir d'apaiser un peuple remarquablement sensible, malgré l'illettrisme et l'isolement. Une légende raconte par exemple l'histoire du "Boto", dauphin d'eau douce connu pour son pouvoir de séduction. "Au milieu de la nuit, il quitte la rivière", dit une sage-femme, Dona Neuda, "et se transforme en bel homme, tout habillé de blanc et portant un chapeau recouvrant l'orifice respiratoire sur le haut de sa tête. Le Boto nous rend visite lorsque nos hommes sont partis à la chasse. Il nous séduit et nous rend parfois folles".

Le travail des sages-femmes traditionnelles est l'expression d'un patrimoine culturel spécifique et métissé, dont les racines sont à la fois indigènes, africaines et portugaises, mais résulte également des difficultés particulières liées à la vie en Amazonie. Invisibles pour le monde extérieur, elles sont indispensables pour leur communauté. Dona Maria Silva, au palmarès impressionnant de plus de cent naissances, explique son travail ainsi : "Un accouchement, c'est comme un orage. Les nuages s'épaississent et le ciel s'assombrit. La tension monte jusqu'à ce que la pluie tombe enfin. Vient ensuite la sérénité, accompagnée du soleil. Mon rôle consiste à accompagner la femme pendant tout le temps que dure la tempête".

Stephanie Pommez

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