À chaque retour de voyage, on me demande souvent à quoi ressemble une ville en guerre. En l’occurrence Alep. J’éprouve pour ma part une certaine attirance pour les paysages urbains altérés par la guerre. L’agitation et le stress qui sont propres à la grande ville disparaissent, faisant place au silence et à la lenteur. Le cœur de la ville bat au ralenti.

Paradoxalement, je crois être plus attentif et curieux dans une ville ravagée. Plus sensible à son charme quand elle est meurtrie, lacérée, estropiée par les armes.

D’après les rebelles syriens, Alep est contrôlée à 70 % par l’ASL (Armée syrienne libre). On ne peut évidemment ni vérifier ni visualiser cette information, puisqu’il est impossible d’aller « de l’autre côté », dans les zones d’Alep sous contrôle du gouvernement. Cet ailleurs inaccessible, que l’on peut entrevoir furtivement par des trous qui servent de meurtrières aux snipers de l’ASL, a occupé mon esprit tout au long de mon séjour à Alep. L’impossibilité de l’atteindre a agi comme un stimulateur sur mon imagination.

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Cette opacité est totale, des deux côtés. Tout comme je ne sais rien de la vie au-delà des lignes de front, les Aleppins des quartiers non rebelles ont-ils seulement une idée de ce qui se passe dans Alep libérée ?

Je me suis rendu sur les six fronts d’Alep : Bustan al-Bacha, Bustan al-Qasr, Salah al-Din, Al-Amria, Cheikh Saïd et dans la vieille ville. C’est dans ces zones que les destructions sont les plus impressionnantes. Les immeubles sur les lignes de front donnent l’impression de pourrir sur place.

Ils sont vides. Rebelles et soldats syriens se scrutent à travers les ruines ; parfois ils se parlent, s’insultent, s’accusent mutuellement de se battre pour une mauvaise cause et de tuer leurs propres frères. Les combats ont baissé en intensité depuis mon précédent séjour en octobre.

C’est une guerre d’usure, de position. Les rebelles lancent parfois des offensives pour avancer un peu, mais la situation reste plutôt statique. Vu la pauvreté des moyens militaires des rebelles, il y a de quoi se demander si l’armée syrienne en face est totalement inefficace, démotivée – peut-être les deux à la fois –, ou s’il s’agit d’une stratégie du régime qui parie sur l’usure des rebelles et le pourrissement de la situation pour remporter la bataille d’Alep.

Jérôme Sessini

Jérôme Sessini

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