L’une des plus grandes joies de ma vie a été de pouvoir côtoyer les éléphants d’Afrique, de les observer au travers de mon objectif, à la recherche d’images qui dévoilent leur identité et leur manière de vivre. En 1956 déjà, Romain Gary, dans son roman Les Racines du Ciel, s’étonnait de la grande intelligence de ces animaux. Ce n’est qu’arrogance pure et simple que de penser que nous, êtres humains, sommes les seuls capables de ressentir de la douleur, de s’occuper de nos petits, d’éprouver de la joie ou encore de la tristesse.
Les éléphants sont des animaux paisibles, très sociables et joueurs. Je les ai longtemps observés en Afrique centrale, puis dans la réserve nationale de Zakouma au Tchad et Samburu au Kenya. A aucun moment je n’ai perçu le moindre égoïsme tel qu’il existe chez nos plus proches cousins, les grands singes. Jamais je n’ai été le témoin de conflits parmi eux. Les éléphants sont amis à vie. Ils pleurent la perte de leur prochain. Leur discipline culturelle est étonnante. Mais tout ce système s’effondre dès lors qu’ils sont menacés. Dans la réserve de Zakouma, les éléphants sont plus ou moins protégés pendant sept à huit mois de l’année.

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Malheureusement, la réserve est inondée pendant la saison des pluies et les éléphants, contraints de partir, deviennent les cibles vulnérables des braconniers, qui les massacrent en telles quantités que la survie de l’espèce s’en trouve menacée. Ces éléphants ne représentent aucun danger pour les populations locales mais ils sont chassés pour leurs défenses et leurs dents, utilisés dans la confection de touches de piano, de boules de billard ou encore de sculptures décoratives. Le déclin de leur population est notoire : en 1970, ils étaient 200 000 dans la région de Zakouma ; en 2005, un décompte aérien a permis de recenser 3 665 éléphants ; en 2006, ce même chiffre n’était plus que de 2 900. Les dernières statistiques en date sont effarantes : moins de 1 000 éléphants dans le parc de Zakouma pendant la saison sèche, c'est-à-dire à l’époque où tous les éléphants se regroupent autour des points d’eau. Les braconniers se déplacent rapidement, souvent à cheval, ils sont très peu chargés. Nombre d’entre eux sont des Janjaweed du Darfour voisin. Les revenus de l’ivoire permettent d’assurer le financement et l’armement des guérillas ou de renflouer les caisses personnelles de certains. Le premier marché de l’ivoire est aujourd’hui la Chine. Je crois que si la Chine espère obtenir le respect du reste du monde, il lui faudra respecter l’interdiction du commerce de l’ivoire.

De nombreuses initiatives ont été prises pour remédier à cette situation et surveiller de près l’évolution de la population d’éléphants. Iain Douglas-Hamilton, militant pour l’environnement, a consacré sa vie aux éléphants. Son organisation Save the Elephants est basée dans la réserve nationale de Samburu au Kenya. Au cours de l’année dernière, j’ai passé cinq mois à photographier les éléphants dans cette réserve. Ce havre de paix est traversé par le fleuve Ewaso Ng’iro, source d’eau pour les éléphants pendant les mois de sécheresse et lieu de rencontre. A Samburu, il n’était pas rare que les éléphants s’endorment à quelques centimètres seulement de mon objectif. Ils jouaient avec moi en me lançant de la boue, de l’eau ou du sable. Lorsque je leur parlais ou improvisais un simulacre gestuel de langage d’éléphants, ils me répondaient. Je faisais mon possible pour ne jamais oublier de m’excuser lorsqu’il m’arrivait de rompre le protocole, ayant été trop enthousiaste à l’idée d’une prise de vue donnée. Ils paraissaient m’accepter malgré mes erreurs, tant que je ne devenais pas trop arrogant.

En trente ans de photographie, j’ai pu observer un monde de plus en plus fragilisé, de plus en plus dénué de perspectives. J’ai la profonde conviction que notre seul espoir aujourd’hui est de nous réveiller et de briser les chaînes de l’avidité - la destinée manifeste, le rêve américain - et de nous rendre compte que notre planète toute entière est un sanctuaire. En effet, sans la faune qui le peuple - les baleines, les tigres, les gorilles et les éléphants - il n’est pas de plénitude possible pour notre planète.

Nous remercions tout particulièrement : Canon Europe (réalisation de l’exposition), NGM et le NG Digital Imaging Lab (tirages, Brian Green) et Robert Llewellyn (fichiers numériques). Nick Nichols est un Ambassadeur Canon.

Michael Nichols

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© Ian Nichols
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