Quand j’étais petit, mon père me racontait comment lui et sa famille durent s’enfuir de Birmanie (aujourd’hui le Myanmar) pour se réfugier en Inde pendant la 2ème guerre mondiale. Redoutant la persécution par l’envahisseur japonais, les Birmans portant un nom chrétien prirent ainsi le chemin de l’exil, suivant la retraite du général Stilwell de Rangoon à Ledo, dans l’Assam du nord-est.
C’est pendant ce voyage qu’il rencontra les Nagas birmans et découvrit leur bonté et leur hospitalité. Par bribes, certains détails de cette histoire sont restés dans ma mémoire, comme le fait que ces tribus étranges accrochaient des paquets de feuilles de maïs contenant du sel à leurs toits en chaume. A l’arrivée dans un village naga après une longue journée de marche, les réfugiés se voyaient offrir de quoi se nourrir et se désaltérer.
Si les villageois n’avaient pas de nourriture, ils partaient chasser, puis préparaient un repas. C’est ainsi qu’a germé en moi la curiosité, l’envie de découvrir les montagnes Nagas 47 ans après le passage de mon père, de connaître et de me lier d’amitié avec l’un des peuples les plus exceptionnels de la planète.

Après avoir abandonné l'école secondaire à Delhi, et ayant beaucoup de temps devant moi, je recherchai l'amitié des Nagas ayant quitté leur village pour venir faire leurs études en Inde. J'en appris plus long sur leur mode de vie, ce qui alimenta mon intérêt pour ce peuple. Mais plusieurs fois mon départ en voyage pour les montagnes Nagas tomba à l'eau. La maison d'édition Time-Life me commanda un reportage photo sur les Nagas dans le cadre d'une collection intitulée "Les Grandes Tribus du Monde". Au moment où je m'apprêtais à partir en mission, toute la série fut annulée. Ce n'est donc qu'en 1989 que j'entamai une série de voyages, soit 500 jours sur une période de six ans passés à découvrir le Nagaland, état indien situé à l'extrême nord-est du pays.

Le pays jouxte le Myanmar (Birmanie) à l'est, l'état indien du Manipur au sud, et l'état d'Assam à l'ouest et au nord-ouest. Une petite partie du Nagaland s'étend au nord de la frontière birmane dans l'état indien d'Arunachal Pradesh. La capitale est Kohima. Le Nagaland connaît un climat humide dominé par la mousson et, à l'exception d'une petite zone de plaines, le pays est recouvert de massifs montagneux qui font partie du système himalayen. Le Nagaland ne dispose d'aucune histoire ancienne écrite. Le terme "naga" s'applique à une multitude de tribus et sous-tribus de la région. Ce nom provient peut-être du sanskrit "naga" (serpent), de l'hindi "nanga" (nu), de "naga" (appartenant aux montagnes) ou de "nok" (peuple, peuplade). Le Myanmar exerça sa domination sur les Nagas de 1819 à 1826 après quoi les Britanniques établirent leur pouvoir sur l'Assam, annexant progressivement les régions montagneuses du Nagaland àe leur empire. Ce sont eux qui déclarèrent hors-la-loi les coupeurs de têtes et les raids entre tribus; peu à peu, les Nagas adoptèrent un mode de vie plus tranquille fondé sur l'agriculture et le commerce. L'indépendance de l'Inde en 1947 déclencha un mouvement en faveur de l'autonomie du Nagaland. En 1963, au terme de longs pourparlers, les Nagas acceptèrent le statut d'état autonome au sein de l'Inde sous la direction du ministre P. Shilu Ao.

Mais le mouvement séparatiste n'était pas mort, s'exprimant fréquemment par des actes de banditisme et motivé plus souvent par des rivalités inter-ethniques et des vengeances personnelles que par de réelles aspirations politiques. Les cessez-le-feu et les négociations ne furent pas à même de stopper l'insurrection, et en mars 1975 l'état fut placé sous administration directe par le gouvernement central indien. Bien qu'en novembre 1975 les leaders du mouvement clandestin aient accepté de déposer les armes et de reconnaître la constitution indienne, un groupuscule d'extrémistes endurcis continua de mener l'agitation en faveur de l'indépendance des Nagas.

Les Nagas appartiennent au groupe des peuples indo-mongols. Bien qu'ayant beaucoup de traits culturels en commun, toutes les tribus sont restées fortement isolées et ne forment pas un peuple unifié. Il y a en tout plus de 35 tribus et sous-tribus, différentes de par leur physionomie, leur dialecte et leurs coutumes. Parlant 60 dialectes oraux, elles n'ont aucune langue en commun; dans certaines régions, chaque village parle un dialecte différent. La communication entre les tribus se fait en naganais, une déformation de l'assamais. Bon nombre de Nagas parlent également l'hindi et l'anglais. L'anglais est la langue officielle de l'état. Environ deux tiers des Nagas sont chrétiens, un dixième animiste, et le reste pratique d'autres religions. La plupart des Nagas vivent dans des villages ruraux, dont certains comptent 10.000 habitants. Kohima, Mokokchung et Dimapur sont d'importants centres urbains. La plus grande tribu est celle des Konyaks, suivie des Aos, des Tangkhuls, des Semas et des Angamis, sans oublier les Lothas, les Sangtams, les Phoms, les Changs, les Khiemnungams, les Yimchungers, les Zeliangs, les Chakhesangs (Chokri), et les Rengmas.

Les Nagas sont traditionnellement animistes, mais croient en un créateur suprême et dans l'au-delà. Pour eux, la nature foisonne de forces invisibles, de dieux mineurs et d'esprits dont les prêtres et les sorciers sont les intermédiaires. Au XIXème siècle, sous la domination britannique, le christianisme fut introduit en particulier par des missionnaires baptistes; aujourd'hui, la majeure partie de la population est chrétienne. L'organisation hiérarchique des tribus est variée, allant des puissants Angs (ou chefs) chez les Konyaks et des chefferies traditionnelles des Semas et des Changs aux conseils démocratiques des Angamais, des Aos, des Lothas et des Rengmas. L'une des institutions les plus importantes du village est le morung, sorte de maison commune ou dortoir pour jeunes hommes célibataires; dans certaines tribus, les femmes aussi disposent de telles cases communes. Les femmes jouent d'ailleurs un grand rôle au sein de la société naga, travaillant aux champs au même titre que les hommes et jouissant d'une influence certaine dans les conseils tribaux. L'agriculture constitue le pilier de l'économie: environ quatre habitants sur cinq sont agriculteurs. Les productions principales sont le riz d'automne et d'hiver, le mil, les graines comestibles, les oléagineux, la canne à sucre, les pommes de terre et le tabac. Mais en raison du manque de terres arables et de la pratique de l'agriculture sur brûlis (jhum), le pays connaît une pénurie alimentaire et voit ses forêts et sa faune être décimées.

Pablo Bartholomew

Pablo Bartholomew

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© Hindustan Times via Getty Images
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