En septembre 2000, la visite d’Ariel Sharon à la mosquée Al Aqsa de Jérusalem marqua le début de la deuxième Intifada.

Mohammed, Ahmed, Yasser et Hussein sont tous adolescents et passent le plus clair de leur temps sur la ligne de démarcation à Ramallah. En décembre, pendant le Ramadan, ils se sont rendus avec des camarades aux limites de la ville pour affronter des soldats israéliens protégeant une caserne et une colonie.

Leur lutte n’est pas sans risques. En effet, plus de cent jeunes ont à ce jour été tués et plusieurs milliers blessés par les balles ou les munitions en caoutchouc tirées par les Israéliens. Leur combat est motivé par la haine, mais il s’agit également d’un jeu - un jeu infiniment dangereux.

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Et pour Mohammed, un jeu meurtrier. Mohammed a été tué le 5 décembre aux limites de la ville à Ramallah, après avoir reçu une balle dans l'oeil tirée par un sniper. Son père, qui craignait pour sa vie, lui avait interdit d'aller se battre sur la ligne de front, et Mohammed avait promis de ne pas s'y rendre. Mais il menait une double vie : d'un côté sa vie à la maison avec son père, sa mère et ses deux frères plus jeunes. Il aimait à s'occuper de ses pigeons, aidait ses frères à construire des cerfs-volants et parlait de ses projets d'avenir avec son père.

Son autre vie était bien plus violente : l'un des premiers à mener les jeunes au front, il commença à participer quotidiennement aux affrontements à partir du mois de décembre. Il provoquait les soldats et s'en approchait le plus possible pour leur lancer des insultes. Bientôt les autres jeunes le suivirent, et Mohammed commença à poser un problème aux Israéliens. Problème qui fut résolu le 5 décembre 2000, lorsqu'il fut tué à l'âge de 15 ans.

Le rêve de voir un jour la Palestine accéder à l'indépendance et le fait d'être des martyrs comptaient beaucoup pour ces garçons. A l'école, il parlaient souvent du gâteau qui devait être servi s'ils étaient tués, et de comment serait la vie s'ils devenaient martyrs. Aucun d'entre eux ne paraissait comprendre que pour devenir martyr, il fallait d'abord être tué.

Pour Ahmed, la vie sur le front rompt le train-train de l'école et lui permet d'oublier son problème auditif qui l'empêche de s'intégrer aux autres jeunes. Ses camarades ne le comprennent pas lorsqu'il parle, et il se fait souvent taper dessus par les autres garçons dans la rue où il habite avec sa famille. Sur le front, il est considéré comme un héros, à l'instar de Mohammed. Le fait de ne pas entendre les coups de feu tirés par les soldats ne le dérange aucunement, et il aime figurer parmi les plus courageux. Sur le front, personne n'attache d'importance à son handicap : les autres jeunes ne voient en lui qu'un garçon de 14 ans qui, en jetant des pierres, s'expose aux tirs de balles de caoutchouc. Le père d'Ahmed sait que son fils se rend aux limites de la ville pour se battre, et il en est fier : "Mon fils n'a pas la vie facile. Nous sommes pauvres et n'avons pas de quoi lui acheter un appareil auditif. A cause de la guerre, mon fils aîné et moi-même avons perdu notre emploi. Je sais que la ligne de front est un endroit dangereux, mais c'est la guerre, et mon fils se bat non seulement pour lui-même, mais pour la libération de la Palestine et une vie meilleure pour nous tous."

Ahmed est un combattant de 14 ans, mais outre cette caractéristique il a les mêmes préoccupations que ses congénères : il aime aller à la piscine "Panorama" avec ses copains du front avant la prière du vendredi; il aime aussi danser, mais aimerait bien pouvoir entendre la musique plus clairement.

Hussein et Mohammed étaient bons amis. Tous deux viennent du même village des abords de Ramallah, et ils se rendaient souvent ensemble sur la ligne de démarcation. Le 5 décembre, leur vie a basculé lorsque Mohammed fut touché par une balle. Hussein aida à le transporter vers l'ambulance, la gorge serrée. Les combats s'intensifièrent au cours des jours suivants. Hussein, sentant la colère monter en lui, devint très agressif. Quelques jours plus tard, il reçut à son tour plusieurs balles (et non des munitions de caoutchouc) dans le dos et fut transféré à l'hôpital de Ramallah, puis à l'hôpital universitaire d'Amman, en Jordanie, où il poursuit à l'heure actuelle son traitement.

Hussein ne se livrait à personne d'autre que ses amis. Il était toujours au front, mais n'était pas insouciant comme ses camarades. Au contraire, il participait activement aux affrontements et se tenait sur le qui-vive lorsque la tension baissait sur le front. Yasser est un enfant de la rue, bien que sa famille possède une grande maison à Ramallah.
Son père est âgé et ne s'entend pas bien avec son fils : "Mon fils est un cancre! Il n'aime pas l'école et ne veut pas travailler. Il embête constamment sa mère pour lui demander de l'argent", dit-il. Yasser a été touché à plusieurs reprises par des balles en caoutchouc, mais il n'a pas peur de mourir. "Mon avenir? Je n'en ai pas!", dit-il. "La vie ici ne vaut pas d'être vécue – tant que la Palestine n'est pas un état indépendant! C'est pour cela que je me bats".

En juin, lorsque j'ai rendu visite aux jeunes de Ramallah, la situation était assez calme. Certes, les affrontements aux abords de la ville se poursuivent, mais seulement le vendredi, pendant une demi-heure. Ahmed vend du pop-corn au marché, et se rend encore à la piscine Panorama le vendredi avant la prière.

C'est désormais le père de Mohammed qui s'occupe de ses pigeons, tandis que ses petits frères s'entraînent au lancer de pierres derrière la maison. "Mon père ne sait pas que je vais au front", affirme Rami, le plus âgé des frères. Rami appartient à un groupe de Tanzim de Ramallah, qui forme les petits garçons qui veulent faire partie des lanceurs de pierre.

Hussein se trouve encore à l'hôpital en Jordanie, et Yasser ne veut plus parler à personne. "Mais n'ayez crainte, la lutte continue!", dit Ahmed. "J'ai fait ma dernière saison en tant que lanceur de pierres. Mais d'autres viendront me remplacer". Le rêve de voir un jour la Palestine accéder à l'indépendance reste intact dans le cœur des jeunes de Ramallah.

Jan Grarup et l'agence Rapho remercient le Magazine Stern pour son aide à la réalisation de ce reportage

Jan Grarup

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