Mon propos n’est pas de traiter une fois de plus des enfants de Roumanie mais de parler très précisément de l’institutionnalisation de l’abandon des enfants et de la filière infernale mise en place il y a maintenant presque 30 ans.

En 1970, Ceaucescu fait voter par le Parlement de Bucarest une loi instituant l’abandon d’enfants en politique nationale dans le but de stimuler la démographie bien sûr mais aussi d’affirmer la primauté de l’Etat sur la famille en matière d’éducation. Pendant les vingt années qui suivent, le pays se couvre d’orphelinats : 600 environ répartis sur 41 départements.

En 1989, Ceaucescu est chassé du pouvoir puis exécuté. On découvre alors l’atroce réalité de ces institutions misérables où des enfants abandonnés, malades, dont la raison a bien souvent vacillé, semblent avoir été rayés de la carte du monde.

En 1991, le nouveau gouvernement abroge la loi ultra nataliste de Ceaucescu interdisant la contarception et obligeant les femmes à avoir cinq enfants, sans apporter toutefois la moindre réponse à la tragédie des 100 000 enfants abandonnés déjà répertoriés ni même endiguer le flot de nouveaux abandons provoqués par une crise économique qui secoue cruellement un pays dont la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.

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Dix ans après la chute de Ceaucescu, force est de constater que les abandons d'enfants n'ont jamais été si nombreux et que la Roumanie ne respecte pas les termes de l'engagement qu'elle a pris devant la communauté internationale en ratifiant ,dès 1990 la Convention des Nations Unies sur les Droits de l'enfant. La situation est si dramatiquement bloquée que certaines O.N.G comme Médecins Sans Frontières ont décidé de quitter le pays en signe de protestation contre l'inertie de l'Etat et le détournement des subventions allouées à ce secteur en pleine expansion !

L'élection d'Iliescu, en janvier 2001, laisse présager pire encore : un retour aux comportements passés et lle renoncement pur et simple de tout espoir de voir se mettre en place en Roumanie une politique d'aide à la famille décente. L'aide humanitaire ne peut que colmater les brèches d'un problème qui, en l'absence de règlement politique adapté prend l'allure d'une déferlante. Il ne s'agit plus aujourd'hui d'aider la Roumanie à améliorer un système générateur de tragédies mais de la convaincre de la nécessité d'en changer radicalement.

Cette situation dramatique, je l'ai découverte en février 1998 à Bucarest en faisant un premier travail photographique pour l'Association SERA qui m'a, par son aide régulière, permis de réaliser l'ensemble de ce reportage. A l'orphelinat de Colentina d'abord, qui accueille des enfants abandonnés atteints du Sida. La séropositivité de quelque 3.000 enfants a été provoquée par l'administration systématique des médicaments par piqûre à l'aide le plus souvent d'une seringue unique pour tout un orphelinat. J'ai pris conscience de l'étendue du problème en même temps que je découvrais son aspect concentrationnaire. L'institutionnalisation de l'abandon des enfants permet de jouer avec eux comme on le ferait avec des billes de flipper. Abandonnés à la naissance, ils ne sortiront plus d'un circuit aussi rigide qu'inefficace qui les mène irrésistiblement de la maternité à l'hospice ou, pour les plus atteints, à l'hôpital psychiatrique. En avril 1998, je suis allé à l'orphelinat de Ionaseni qui est un "camin-spital", sorte de mouroir pour les enfants de tous âges. En juin 1998, à Ungureni dans un "camin-spital" encore, mais celui-là réservé aux enfants atteints de handicaps sévères.

Un quatrième voyage en septembre 1998 m'a permis de découvrir à Bilteni un autre "camin-spital" moins désespérant peut-être puisque le personnel y est, pour une fois formé, permettant aux enfants de bénéficier de soins adaptés.

En mai 1999, à Turnu-Severin, j'ai photographié un "leagan" c'est-à-dire un lieu d'accueil pour les bébés de 0 à 3 ans. J'ai pu aussi, à cette occasion, assister à une des très rares tentatives d'organisation d'accueil des enfants par des familles volontaires et même d'adoption pour quelques-uns.

En juillet 1999, au "camin-spital" d'Horia et au centre de dystrophiques de Tulcea qui reccueille des enfants prématurés, j'ai été confronté à une nouvelle réalité tragique : la famine menace. Aujourd'hui le gouvernement roumain n'a même plus les moyens de distribuer aux orphelinats ses allocations faméliques.

L'espoir repose maintenant sur une hypothétique subvention de la Commission européenne dont le chef du gouvernement vient de faire officiellement la demande. Au cours de l'année 2000, j'ai encore travaillé dans une maternité à Vilcea.

Pour témoigner de cet implacable circuit de l'institutionnalisation de l'abandon des enfants, je suis allé durant ces 3 années auprès de ceux qui, privés d'enfance, deviennent inexorablement des adultes diminués, handicapés, assistés à vie.

Ce voyage tragique passait aussi par la rencontre d'un autre drame : celui des familles que l'extrême misère contraint à renier leurs enfants qui viennent grossir les rangs de cette jeune population qu'on appelle là-bas "les enfants du diable".

Jean-Louis Courtinat

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