Au plus profond du Kalahari, à l’est du fleuve Nossob au Botswana, l’on trouve des lions qui n’ont jamais rencontré l’homme. Le docteur Paul Funston, biologiste sud-africain, étudie ces troupes isolées. A la recherche d’une personne pour l’aider, il se tourna vers les Bushmen, ou Bochimans, un peuple présent dans le Kalahari depuis des millénaires. Les Bochimans lui présentèrent l’un des leurs, Klaus Kuiper, réputé être le meilleur traqueur de toute l’Afrique. Peu de temps après cette rencontre, Paul m’invita à les rejoindre à l’occasion d’un safari dans la région.

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Souvent, après des heures passées à traquer le lion, nous nous retrouvions autour du feu de camp pour écouter Klaus raconter sa vie. Il parlait de sa passion pour le pistage ainsi que de la paix qu'il trouvait dans la brousse, qui donnait un sens à sa vie. Ceci contrastait avec ses tristes récits du temps où il squattait avec d'autres un terrain à l'orée du Parc Gembok dans le Kalahari. Il nous décrivait comment il avait perdu ses terres, nous parlait de ses problèmes conjugaux et de l'emprise de l'alcool et des drogues sur son peuple. Avec le temps, ses histoires prenaient un ton de plus en plus fataliste. Quelques jours plus tard, nous retrouvâmes Klaus mort, tué à coups de couteau à beurre alors qu'il dormait aux côtés de sa femme dans une tente non loin du Molopo Liquor Store en Afrique du Sud.

Je pleure la mort de Klaus; je suis peiné non seulement pour lui mais pour tout son peuple. Les Bochimans sont considérés comme le Premier Peuple d'Afrique, leur territoire s'étendant jadis du Zambèze au Cap de Bonne Espérance, de l'Atlantique à l'Océan Indien. Les anthropologues estiment qu'ils ont ainsi régné pendant plus de 60.000 ans grâce à leurs flèches empoisonnées et à leur aptitude troublante à pister le gibier et à trouver des sources d'eau. Aujourd'hui, leurs voisins Tswanas, arrivés il y a tout juste 1.200 ans, appellent les Bochimans les Basarwa, "le peuple qui n'a rien".

Dans le contexte de cette définition, la mort tragique de Klaus est symbolique du déclin de la culture autrefois prestigieuse des Bochimans. Mais au moment même où tout espoir pour ce "peuple qui n'a rien" semble s'être évanoui, les Sud-Africains se sont doté d'une nouvelle constitution qui met en exergue la diversité culturelle et les droits de l'homme.
Il est trop tard pour Klaus, mais pas pour ses enfants. Les Bochimans retrouvent aujourd'hui leurs terres et avec elles leur amour-propre et leur droit à l'autodétermination. Ils continuent de lutter pour s'adapter aux temps qui changent, tout en gardant un pied dans chaque monde: le monde ancien des chasseurs-cueilleurs et le monde moderne des Occidentaux. Je forme l'espoir que les Bochimans trouveront leur voie et sauront glaner ce que les deux mondes ont de mieux à offrir.

Chris Johns

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