Dès le début, les ressources naturelles ont été au cœur du conflit du nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), sans doute le plus trouble et le plus meurtrier au monde. La guerre s’est déclarée en 1998, lorsque l’Ouganda et le Rwanda ont traversé la frontière congolaise sous prétexte de donner la chasse aux Interhamwe coupables de génocide. Immédiatement, les combats pour la possession des minerais du Congo ont commencé. Pratiquement dès les premiers mois, les ressources ont dicté les stratégies militaires. Les rebelles soutenus par le Rwanda ont assiégé des villes minières pour s’approprier, entre autre, leur or, diamants, coltan (pour les ordinateurs et téléphones portables) et plus récemment la cassitérite (utilisée pour la fabrication de l’étain). Les rebelles soutenus par l’Ouganda n’ont pas tardé à les imiter. Certes, certains de ces minerais sont utilisés pour les technologies les plus modernes, pourtant le pillage des richesses congolaises n’est pas un phénomène nouveau. Il remonte au règne du roi Léopold. A l’époque il visait le caoutchouc et l’ivoire. Aujourd’hui, les richesses convoitées ont changé, mais les méthodes et les motifs restent les mêmes. D’après le groupe International Crisis Group, actuellement, mille personnes meurent chaque jour au Congo. Ce chiffre est tellement démesuré qu’il en devient presque inconcevable. De sorte que depuis le début de la guerre, toujours selon l’ICG, le nombre de morts s’élèverait à quatre millions. Pour chaque personne qui meurt de mort violente, soixante-deux meurent d’une cause que l’on aurait pu éviter : diarrhée, malnutrition, paludisme, pour n’en citer que quelques-unes. De façon paradoxale, les habitants des villes minières du Congo oriental sont parmi les plus démunis : après plusieurs vagues de combats et sept années de guerre, ils n’ont pas d’hôpitaux, de routes et ni les ONG, ni les Nations-Unies ne sont présentes dans cette région jugée trop dangereuse.

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La ville de Mongbwalu, qui possède des mines d’or, se situe à environ 160 kilomètres au nord-est de Bunia, non loin de la frontière ougandaise. Elle a été le siège de certaines des pires atrocités de cette guerre. Les rebelles congolais soutenus par l’Ouganda et par le Rwanda, qui se livrent au pillage des ressources sous couvert de conflits “ethniques”, se sont affrontés pour prendre le contrôle des mines d’or de la ville, recourant à la terreur pour chasser de leurs maisons les populations locales. Des centaines de milliers de personnes ont fui la ville et les affrontements entre les Hema et les Lendu (deux groupes ethniques opposés dont la prétendue rivalité remonte à des distinctions établies par les colons). Il y a quelques années, sur un rond-point de la ville, un commandant rebelle aurait ordonné que l’on fasse cuire un homme et aurait mangé son cœur devant une foule obligée d’assister à ce spectacle. En 2003, deux employés des Nations-Unies chargés du maintien de la paix y ont été assassinés bien qu’ils aient demandé à quitter la ville à plusieurs reprises. Aujourd’hui, la ville est littéralement une zone de non-droit, abandonnée par les Nations-Unies et visitée uniquement par une ONG locale. Mongbwalu est désormais aux mains du groupe de rebelles responsable du meurtre des deux casques bleus. Récemment, Rights and Accountability in Development (RAID, une ONG qui surveille le rôle des multinationales, surtout en Afrique) a publié un rapport sur l’exploitation illégale des ressources naturelles du Congo. Bien qu’un panel des Nations-Unies ait, en 2001, dénoncé les entreprises les plus coupables dans cette partie du monde, les multinationales continuent de tirer profit de la guerre au Congo. Ce rapport a été étouffé, et les activités dénoncées par le panel des Nations-Unies se poursuivent en toute impunité ; le conflit aussi. Certaines entreprises ayant décidé de se retirer, ont montré des courriers envoyés par de hauts fonctionnaires rwandais leur indiquant qu’elles devraient financer l’armée rwandaise si elles voulaient poursuivre leurs activités. En outre, des allégations circulent selon lesquelles une des entreprises aurait récemment abrité dans ses murs des chefs rebelles après un soulèvement. Des chercheurs et des groupes de protection des droits de l’Homme indiquent que ces allégations sont sans aucun doute fondées et qu’on ne peut pas opérer dans ces régions sans protection politique et militaire. En général, ce ne sont pas les grands noms qui sont présents. Des sociétés intermédiaires servent de façade pour garantir l’approvisionnement en minerais. De Beers, Avient, Alfred Knight sont quelques-unes des entreprises dénoncées par RAID. La liste est longue. En 2004, d’après RAID, une société minière australo-canadienne appelée Anvil a aidé les troupes congolaises à atteindre la ville de Kilwa par voie aérienne afin de mater une rébellion de moindre ampleur. Un directeur d’Anvil a déclaré à RAID qu’une fois sur place, l’entreprise a fourni à l’armée des véhicules militaires pour ses déplacements dans la ville. Cent personnes ont été tuées, dont trente exécutées sommairement, et auraient été enterrées dans des fosses communes. Ce massacre ne représente qu’un dixième de la violence d’une seule journée en RDC. L’exploitation minière dans les zones de conflits cause des dégâts irréparables au tissu de la société. Le choléra, le paludisme, la fièvre hémorragique sont toutes des maladies qui se déclarent de façon régulière dans les régions minières et font plus de victimes que les affrontements eux-mêmes. En République Démocratique du Congo, l’inaccessibilité de la plupart des zones minières et la réticence des agences internationales à travailler dans ces régions aggravent le caractère dévastateur de ces maladies qui se transforment en véritables épidémies. Des milliers de victimes, surtout des enfants et des femmes, meurent par manque d’assistance médicale et d’installations sanitaires. Ces activités minières privent les villages de leur vie agricole car la plupart des villageois préfèrent travailler à la mine plutôt que de travailler dur pour un revenu agricole plus que modeste, mais les maladies et la mort se propagent car le niveau des soins médicaux et des installations sanitaires est bien moins élevé dans ces régions. Les véritables assassins, ce sont ces conflits qui tuent, non pas à la machette ou au AK47, mais en détruisant la structure même des sociétés africaines.

Marcus Bleasdale

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