J’ai vécu aux côtés de la police pendant huit semaines à Toulouse et deux semaines dans les Hauts de Seine, en banlieue de Paris. L’idée de ce reportage m’est venue lorsque j’ai montré mon portfolio à plusieurs magazines européens. Tout le monde trouvait étonnantes les photos sur la violence familiale que j’avais prises dans le cadre d’un sujet sur la police à New York. On me disait qu’il y avait beaucoup d’émotion dans ces images, et qu’il serait impossible de faire ce genre de travail en France. L’idée selon laquelle la police et le public en France ne seraient pas aussi ouverts qu’ils l’avaient été à mon égard aux USA ou au Brésil m’intriguait. Je savais pourtant que les mêmes problèmes sociaux existaient en France.

J’ai pu côtoyer les Services Généraux de la police, la Section d’Intervention (SI) et la Brigade Anti-Criminalité (BAC), qui viennent en renfort les uns des autres en situation dangereuse. A Paris, j’ai également accompagné les Unités Mobiles de Sécurité (UMS) et la Sûreté Départementale. La police française m’a laissé une totale liberté de mouvements. J’avais l’autorisation de travailler avec tout service ou brigade de mon choix. Aucune censure ni restriction ne m’a été imposée. Sauf à de rares exceptions, les policiers m’ont accueillie avec beaucoup de chaleur et d’amitié et se sont laissé photographier. Ils m’ont fait confiance et m’ont intégrée à leur équipe. Si j’ai choisi Toulouse, c’est parce que c’est la seule ville de France à disposer d’un Service d’Accueil et de Prévention (SAP), dispositif unique au sein de la police et qui œuvre à la prévention de la violence familiale.

La police aujourd’hui fait un travail difficile. Outre leur rôle de gardiens de l’ordre public, ses membres doivent également jouer les travailleurs sociaux, les confesseurs et les arbitres. Ils sont appelés à partager avec ceux qui font appel à eux certains moments intimes, traumatisants et parfois dramatiques. Très souvent les agents n’ont pas un large éventail de solutions à proposer. Il revient à chacun d’entre eux de décider de la procédure à employer. Dans certaines situations, il leur est difficile d’être les “gardiens de la paix”. L’atmosphère généralisée de méfiance à leur égard de la part de la population ne fait que détériorer l’image négative de la police auprès des Français. Contrairement aux Etats-Unis, le port d’armes en France est loin d’être généralisé, mais on compte de plus en plus de malfaiteurs armés et de citoyens qui choisissent d’assurer leur protection au moyen d’une arme.
La police est disposée à mener à bien sa mission, mais la réglementation ne lui donne pas tous les moyens de combattre les malfaiteurs armés ou même les bandes de jeunes armés de pierres et de bouteilles, ou parfois de gaz lacrymogène. Par rapport à d’autres pays, je peux dire que j’ai trouvé la police nationale française compétente et professionnelle. Les agents connaissent les quartiers dans lesquels ils sont appelés à opérer; j’ai observé leur compassion et leur patience. Mais j’ai également partagé leur sentiment de frustration et de futilité provoqué par l’absence d’encadrement ou de soutien en matière de lutte contre la criminalité urbaine. J’ai également partagé leur solitude, eux qui n’ont que leur collègue à qui parler, puisque tout le monde les craint. Une gardienne de la paix m’a avoué que sa sœur ne lui parle plus depuis qu’elle a rejoint les rangs de la police.

Aujourd’hui, en cas d’erreur, on est beaucoup moins indulgent envers un policier qu’envers un civil. Le déclin généralisé du respect de l’autorité par le public rend le travail des policiers de plus en plus difficile. Ils doivent risquer leur vie mais il est rare qu’on les en remercie. Rares également sont ceux qui ont à leur égard une parole gentille ou un sourire. Ils sont isolés par rapport à ce même public qui prend pour acquise leur présence en cas de nécessité.

Viviane Moos

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