Lauréate du Prix Canon de la Femme photojournaliste 2004

Le Zimbabwe est en crise : 35% de la population est séropositive, 70% est au chômage, et les produits de première nécessité comme la farine de blé, l’huile, le sucre et l’essence sont introuvables. Dirigé depuis 1980 par un homme fort, Robert Mugabe, le pays est passé de l’espoir suscité par l’Afrique post-coloniale à un impitoyable état policier. Mugabe a ordonné personnellement que l’on coupe court à toute dissension politique et aux libertés de la presse. Les quotidiens privés ont dû fermer. Les journalistes étrangers qui réussissent à obtenir l’autorisation de travailler dans le pays sont fortement limités et surveillés de près. Ceux qui travaillent sans autorisation encourent une peine de deux ans de prison s’ils se font prendre. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie pour éradiquer toute opposition éventuelle, Mugabe a lancé son opération Murambatsvina (« Chasse aux déchets ») qui cible les plus déshérités sur l’ensemble du territoire national. Des bidonvilles, des lotissements parfaitement licites et des petits commerces ont été démolis afin de refouler vers les campagnes des réfugiés urbains déjà démunis.

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L’extrême pauvreté associée aux violations des droits fondamentaux cautionnées par l’Etat précarise gravement et met en péril la vie quotidienne des personnes infectées par le HIV. Certes les médicaments sont parfois disponibles, mais les malades du sida qui ont besoin de traitement sont confrontés à un obstacle quasi insurmontable : les payer. Ils doivent faire un choix déchirant : acheter à manger pour leur famille ou acheter des médicaments pour rester en vie. Ainsi livrés à leur sort par des autorités qui les voient d’un mauvais œil plutôt qu’avec compassion, pauvres et incapables d’acheter des médicaments, ils n’ont plus que la foi pour les porter. Cela ne signifie pas que la population séropositive du Zimbabwe trouve en Dieu toutes les réponses, mais la religion et ses rites lui apportent un certain réconfort. Ce rassemblement en communauté, avec d’autres piégés par la pauvreté et la maladie, est un antidote contre l’un des effets secondaires les plus dramatiques du sida : la solitude. Les voisins et la famille au sens large trouvent aussi une forme de rédemption dans le fait de soigner l’âme des malades. Une femme qui soigne bénévolement des patients atteints du sida me l’a expliqué ainsi lorsque je l’ai interviewée : « Regardez par la fenêtre de chez moi. Vous voyez ce minuscule lopin de terre. Vous voyez cette petite maison de deux pièces ? Nous sommes pauvres. Nous sommes quatre et mon mari est le seul à travailler. Il gagne cent dollars par mois pour nous faire vivre. Je donne mon temps aux autres parce qu’ils ont besoin de moi. Je ne serai pas payée pour ce travail dans cette vie, mais Dieu nous observe. Il voit ce que nous faisons. »

Kristen Ashburn

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