“ L’Inde est un autre monde “ disait Kipling. Pendant quarante-deux jours, Allahabad fut une autre planète. Soixante-dix millions de pélerins venus des quatre coins du sous-continent ont participé au Maha Kumbh Mela, le plus grand rassemblement religieux de tous les temps, dont les origines remontent à l’Antiquité.
En 2001, le Moyen Age a rencontré l’heure atomique, et le Kumbh fut le plus phénoménal, le plus moderne et le plus fou de l’Histoire de l’Inde. Les astrologues d’Etat avaient annoncé que les planètes formeraient une configuration extraordinaire qui ne se reproduirait pas avant 144 ans. Il fallait en profiter.

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Le 24 janvier, 23 millions d’êtres humains prirent un bain dans le ciel. Religions et castes confondues, ils lavèrent les péchés d’une vie par vagues de 25.000 hommes toutes les quinze minutes, dans les eaux purificatrices et boueuses. Ce jour-là, un bain au confluent du Gange et de la Yamunâ valait dix millions de bains sacrés.
Plusieurs milliers de yogis, de Naga sadhû qui vont nus et couverts de cendres, de saints anachorètes qui n’apparaissent qu’en cette occasion, car ils ont renoncé au monde et vivent nus, eux aussi, dans les solitudes de l’Himalaya, défilèrent sur des chars d’œillets et de brocards. Si le Maha Kumbh Mela de 1860 fit 18.000 morts, celui de 2001 ne fit que quelques blessés parmi les photographes de presse. Deux jeunes Occidentales un peu allumées avaient posé nues et couvertes de boue au côté des Nagas, lesquels, furieux de l’affront fait à leur âme, interdirent les caméras lors de leur bain sacré.
Ceux qui tentèrent de forcer le barrage de la police montée reçurent quelques sérieux coups de bâton et se retrouvèrent à l’hôpital. Henri Cartier-Bresson, qui couvrit le Kumbh Mela en 1966, se dit que, de toute sa vie, il n’a rien connu de plus dangereux.
Il aurait été étonné de constater que cette année, 70 millions de pélerins regroupés sur une cité de tentes de 1.500 hectares, autant dire un mouchoir de poche, étaient devenus une armée de sourires. À l’aube du troisième millénaire, il fallait un autre prince de l’image pour voir sans être vu. Tiane Doan na Champassak en est un.

Claudine Vernier-Palliez

Tiane Doan Na Champassak

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