Il est tôt ce matin de mai 2008. Très tôt. Le soleil laisse poindre ses premiers rayons qui viennent caresser les visages des villageois birmans postés sur la rive. Tout est calme, serein. La petite embarcation qui m’a amené à eux accoste enfin, après plusieurs heures de navigation dans ce labyrinthe de canaux en plein cœur du delta de l’Irrawaddy. Femmes, hommes et enfants se pressent autour de la barque pour attendre la nourriture que leur ont apportée leurs compatriotes. Abandonnés par le gouvernement, à des dizaines de kilomètres de la première route, ils ne peuvent compter que sur leur solidarité pour espérer survivre. À peine le pied posé sur la berge, je constate la désolation des lieux. Le village n’existe plus. Rayé de la carte. La vague qui a suivi le cyclone a tout emporté sur son passage. Un homme se tient là, debout devant les ruines de sa maison, le sourire aux lèvres. Je m’en étonne. Saw Htu me raconte son histoire. La vague lui a volé sa femme, ses enfants, ses parents, sa maison, son bétail. Le riz qu’il a fait pousser est pourri par l’eau de mer. La récolte est perdue. Et pourtant, ce sourire sur son visage buriné… Pourquoi ? Je m’interroge et lui pose finalement la question. Il me répond alors : « La vague m’a tout pris, tout. Je n’ai plus rien. Devrais-je aussi perdre mon sourire, alors que c’est la seule chose qui me reste ? »

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Un autre matin, beaucoup plus frais celui-ci mais tout aussi ensoleillé. Celui du 25 janvier 2009 à Jabalia dans la bande de Gaza. Khaled Abdrabbo boit son thé sur les ruines de sa maison. Ici, aucun cyclone n’est passé. Même si en regardant autour de moi, j’ai l’impression d’arriver dans une ville dévastée par un tremblement de terre, ces ruines-là sont le fait de la main de l’homme. Une guerre éclair qui a tout ravagé. Les tanks, les bulldozers ont tout saccagé sur leur passage. L’homme m’invite à partager son thé et une orange. Il me raconte lui aussi son histoire. Il m’explique qu’une semaine auparavant, après avoir entendu du bruit chez lui, il est descendu à la porte d’entrée avec ses deux filles. En face d’eux, un tank israélien. Avec difficulté, la voix tremblante, il me détaille la manière dont le soldat est sorti de son char, a pointé froidement son arme sur les fillettes, et les a abattues. Khaled est là, assis sur les ruines de cette maison qu’il a mis une vie à bâtir. Il est seul désormais. Et quand je lui demande naïvement, ne sachant trop quoi lui dire, comment il envisage l’avenir, il me répond le plus simplement du monde : « Je veux la paix avec les hommes qui ont tué mes filles. » Que ce soit à Gaza, en Haïti, en Irak, en Géorgie, en Birmanie ou en Iran, j’ai rencontré les mêmes destins tragiques, et toujours cette même dignité et ce même courage face à l’horreur. Partout dans le monde, des hommes et des femmes luttent pour leur survie ou leur liberté, et sont plongés dans un enfer dont ils savent pertinemment qu’ils ne sortiront pas indemnes… Victimes de guerres, de régimes autoritaires ou de la nature elle-même, ils se résignent, acceptent, ou s’indignent et se révoltent, toujours dans la souffrance d’un quotidien qu’ils n’ont pas choisi.

Olivier Laban-Mattei

Olivier Laban-Mattei

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