Ligne de séparation entre les sables du Sahara et les forêts tropicales d’Afrique, le Sahel est un passage entre populations arabes et noires, musulmans et chrétiens, pasteurs nomades et paysans sédentaires. C’est là que vivent 125 millions d’habitants parmi les plus démunis et vulnérables de la planète, et d’ici 15 ans, la population aura augmenté de 60 %.

Dans cette région, l’insécurité politique vient s’ajouter à l’insécurité alimentaire. La crise qui s’accélère est la conséquence du dérèglement climatique, d’une croissance démographique inouïe, de la diminution des ressources naturelles, d’une situation économique et sociale terrible, et de nombreux conflits territoriaux et politiques, liés notamment au développement du djihadisme.

En 2002 et 2006, je me suis rendu dans les mines de sel de Taoudeni, au Mali, à 750 km au nord de Tombouctou. Dans cet immense no man’s land, il n’y avait plus d’État, plus d’armée ni contrôles d’aucune sorte. On pouvait y croiser, entre autres, les Algériens de l’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), des combattants du Front Polisario engagés contre la présence marocaine au Sahara occidental, et des rebelles touaregs. C’était le territoire de tous les trafics : armes, otages, migrants, et principalement de la drogue.

maitre_sahel_020.jpg
maitre_sahel_018.jpg
maitre_sahel_001.jpg

Tout s’accélère en 2011 avec l’élimination de Kadhafi et la chute de son régime en Libye. Un millier de Touaregs de l’armée libyenne retournent dans leur pays, le Niger et surtout le Mali. Ils rentrent avec leurs armes et une partie de celles de l’immense stock de l’armée libyenne qui, très étonnamment, n’avait pas été détruit.

Kadhafi recevait de l’argent de l’Europe pour faire le travail des gardes-côtes européens. Après la chute de son régime, les portes de l’Europe se sont ouvertes et des vagues de migrants venant d’Afrique de l’Ouest ont déferlé sur le Niger en direction d’Agadez, jusqu’à 400 000 en 2016. Des milliers de migrants sont morts et meurent encore actuellement dans le désert du Ténéré au Niger, en Libye et en Méditerranée.

Aujourd’hui, sous la pression de l’Europe, le Niger a criminalisé l’activité des passeurs, l’objectif étant de faire d’Agadez la frontière de l’Europe. Mais le trafic ne s’est pas pour autant arrêté, il est juste devenu invisible. Les routes sont plus dangereuses, les prix ont triplé, le voyage est plus dur, plus risqué. Le Niger, qui occupe la dernière place dans le classement selon l’indice de développement humain du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), tente de résister dans un contexte régional menaçant : des groupes armés maliens islamistes au nord-ouest, des milices touboues à l’est, des groupes islamistes basés en Libye au nord-est, et Boko Haram au sud-est.

Aux frontières du Niger, du Mali et du Burkina Faso, la France mène, avec 4 500 hommes et de grands moyens, une guerre intense depuis cinq ans dans une région désertique et hostile, devenue un refuge pour l’EIGS (État islamiste dans le grand Sahara) et Al-Qaida. Les djihadistes ont en effet compris que la seule façon de résister à une telle force est d’étendre leurs champs de bataille et de quitter les centres urbains.

Peu à peu, la crise s’est déplacée vers le centre du Mali, un immense territoire livré à lui-même et qui est devenu le nouvel épicentre de l’insécurité au Sahel. De nombreux membres de la société pastorale ont rejoint la cause djihadiste, en particulier les Peuls, et combattent désormais au sein du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). L’équilibre précaire entre éleveurs peuls, cultivateurs dogons et bambaras, et pêcheurs bozos a été rompu. L’armée et le gouvernement, accusés de jouer les rivalités entre ces communautés, ont, sous couvert de lutter contre les djihadistes, armé et financé des milices, et n’ont à présent plus aucun contrôle sur ces différents acteurs de la violence. Désormais, ces mouvements djihadistes se diffusent dans le sud du Sahel et vers le Burkina Faso, mettant en danger toute l’Afrique de l’Ouest.
Pascal Maitre

Pascal Maitre est représenté en France par MYOP et à l’international par Panos Pictures.

https://www.nationalgeographic.com/magazine/2019/07/niger-clings-to-stability-in-west-africa/
Avec l’autorisation de Pascal Maitre / National Geographic.
Reportage publié par National Geographic Magazine (juillet 2019).

Pascal Maitre

pascal_maitre.jpg
Suivre sur
Voir les archives