Le 19 avril 1994, au plus fort de la guerre civile au Rwanda, des milliers de Tutsis et de Hutus modérés pourchassés par l’armée et les extrémistes hutus se réfugient à Murambi sur le site d’une école en construction.

Deux jours plus tard, à 3 heures du matin, les assassins arrivent. Le carnage à la machette dure toute la journée. Ceux qui tentent de fuir sont tués par les Hutus des villages alentour. 50 000 morts, 4 rescapés, un massacre ethnique.

Au mois de juillet 1994, les Hutus défaits fuient vers les camps du Zaïre. C’est le début du retour des exilés tutsis, ceux de la génération qui avait fui les massacres de 1959. Cette communauté, qui va peu à peu reprendre les rênes du pays, apprend l’existence sur le site de trois grandes fosses communes. Elle décide de se cotiser pour édifier un mémorial au génocide sur les lieux du massacre.

Ainsi, au mois de mai 1997, une équipe de vingt Rwandais supervisée par un spécialiste chilien commence l’exhumation des corps. Parmi les 50 000 corps recensés et les nombreux ossements et crânes déliés, 26 000 cadavres vont être sélectionnés, nettoyés et recouverts de chaux pour être conservés dans la position dans laquelle la mort les a surpris quatre ans auparavant. Progressivement, ils vont être entreposés dans les salles de classe de l’école de Murambi.

Mais la tâche est interminable et l’argent manque pour continuer. Surtout, le pays a d’autres priorités, et le mémorial est loin d’être achevé.

Néanmoins, au “pays des mille collines” devenu celui des mille charniers, la terre a livré ces sculptures de l’enfer. Aussi, je me devais de témoigner de cette danse macabre : des corps pétrifiés dans d’étranges mouvements, des jambes fléchies, des bras levés, des têtes désarticulées… Des hommes, des femmes, des enfants offrant d’ultimes gestes de tendresse en remparts dérisoires face à la sauvagerie des tueurs qui ont enseveli des êtres blessés et agonisants, mais encore vivants.

Aujourd’hui, le mémorial inachevé de Murambi est habité par un incroyable sentiment d’intimité, comme si chaque victime, encore présente, voulait rappeler aux vivants sa part d’humanité meurtrie.

Le génocide rwandais a fait près d’un million de victimes. Les massacres continuent.

Christophe Calais

Ce reportage a été réalisé en décembre 1997

Christophe Calais

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