J’étais sur une route poussiéreuse du Burkina Faso, l’après-midi du 7 avril 1994, quand la BBC annonçait des « troubles » au Rwanda. Ces « troubles » étaient en réalité un énorme massacre perpétré par les Hutus contre les Tutsis. Le télescopage de ces deux peuples qui ont tenté de cohabiter dans ce tout petit pays de la région des Grands Lacs, était voué à l’échec. Les Hutus venaient de l’ouest, de la grande forêt, les Tutsis de l’est, des hauts plateaux. Les premiers se sont faits paysans, les seconds éleveurs. Les mœurs, les conditions sociales étaient différentes, et tous, se toisaient d’une colline à l’autre. Les uns, majoritaires, labouraient la terre, et mûrissaient leur rancœur, les autres, surveillant leurs troupeaux, affichaient leur supériorité. L’affrontement était inévitable. A cinq reprises, de 1959 à 1994, les Hutus, majoritaires, ont massacré les Tutsis, obligeant ces derniers à s’enfuir dans les pays frontaliers et à organiser une armée de reconquête.

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Je ne suis arrivé qu’à la fin du mois. La frontière entre les deux pays est délimitée par une rivière. Des centaines de corps y flottaient et étaient retenus dans les tourbillons des chutes de Rusumo, autrefois un haut lieu touristique. Le pays, autrefois si dense, si actif, n’était plus qu’un champ de cadavres. Sans comparaison avec le traumatisme et les douleurs qu’ont subis les Rwandais, les observateurs, militaires au sein de l’ONU ou journalistes pourtant tous aguerris, personne n’est sorti indemne du spectacle de ce génocide. Personne.

Deux années plus tard, les Hutus qui ont trouvé refuge au Congo voisin, entassés dans des camps de réfugiés dont les villages et leurs structures ont été reconstituées, sont en permanence rackettés par les Congolais et, comme par malédiction, sont décimés, au mois d’août par le choléra. Les cadavres de ceux qui avaient tué autrefois, jonchent, à leur tour, les routes de cette région des Grands Lacs.

En novembre 1996, les réfugiés jettent l’éponge. Le plus invraisemblable exode africain débute un petit matin. 300 000 personnes plient bagage, et empruntent la rue principale de Goma. Certains prennent la route vers le Rwanda et savent qu’ils seront emprisonnés. D’autres s’enfoncent dans la grande forêt et marcheront des mois jusqu’à Kisangani.

En 1997, à leur tour, ils jettent, eux aussi l’éponge et sont rapatriés par des Antonov loués à la Russie par l’ONU, vers les prisons rwandaises. Dix années plus tard après ce génocide, je suis retourné avec Michel Peyrard à Bisesero, la colline où nous avions contribué, en prévenant les militaires français, à sauver quelques centaines de Tutsis. Nous avons retrouvé une vingtaine de survivants dont nous avions croisé le destin.

L’hostilité entre Tutsis et Hutus reste entière, et l’avenir n’est pas à l’optimisme.

Benoît Gysembergh

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