Rivières blessées
Gaël Turine
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Dhaka, la capitale du Bangladesh, a été fondée il y a 400 ans sur la rive nord de la rivière Buriganga. La ville est entourée par un réseau fluvial formé de cinq rivières, et les nombreux canaux qui la sillonnaient dans le passé avaient une importance hydrographique majeure, reliant les rivières périphériques entre elles et au réseau fluvial. La majorité de ces canaux urbains ont été obstrués pour satisfaire, sans aucune considération pour l’environnement, le développement anarchique de la ville. Aujourd’hui, Dhaka et sa proche banlieue comptent plus de 18 millions d’habitants contre à peine 1,5 million en 1971, année où le Bangladesh obtint son indépendance.
Alors que la Buriganga et les autres cours d’eau ont toujours été considérés comme la « ligne de vie » de Dhaka, ce sont désormais des rivières poubelles.
Ces rivières étaient poissonneuses, fournissaient et ensuite évacuaient l’eau nécessaire aux besoins domestiques de la population, facilitaient les déplacements entre la capitale et les villes du sud et l’océan, jouaient, avec les immenses plaines adjacentes, le rôle de « zone tampon » pour protéger la ville des inondations provoquées par les moussons, mais elles ne pourront bientôt plus remplir ces fonctions.
La pollution industrielle produite par les tanneries, usines textiles, chantiers navals, usines sidérurgiques, briqueteries, manufactures industrielles et artisanales en tous genres est la première cause de contamination des rivières. Ce sont environ 10 000 mètres cubes de déchets toxiques qui sont directement évacués chaque jour dans les rivières de Dhaka.
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À la pollution chimique du secteur industriel s’ajoutent les eaux usées domestiques non traitées et systématiquement déversées dans les rivières. Seules 20 % des eaux usées de la ville sont traitées, transformant les rivières en gigantesque égout à ciel ouvert.
Malgré le développement du réseau routier, la Buriganga demeure la principale voie d’échange entre Dhaka et les deux ports maritimes bangladais sur l’océan Indien. L’inchiffrable quantité d’huiles usagées rejetées par un nombre croissant de cargos et de bateaux de passagers sillonnant les rivières aggrave la situation. Les entrepreneurs, politiciens et investisseurs ont rapidement sacrifié l’équilibre et la viabilité à long terme des rivières en privilégiant les perspectives économiques et financières immédiates.
L’impact de ces activités polluantes est amplifié par le rétrécissement de tronçons de rivière et la fermeture de canaux urbains. L’accaparement de terrains et de portions de cours d’eau permet aux industriels d’y implanter leurs sites de production, aux entrepreneurs d’y construire des quartiers de logements et aux personnes venant des campagnes d’y aménager des habitations de fortune. Ces pratiques ont pour conséquence de diminuer le courant des rivières et d’en appauvrir la régénération.
Les odeurs nauséabondes, flaques d’huile et de graisse à la surface des eaux, déchets de plastique et organiques en flottaison, décoloration des berges et des nappes phréatiques, poissons impropres à la consommation, prolifération d’algues toxiques, sont autant de signaux visibles d’une contamination qui a pratiquement transformé la Buriganga en « rivière morte ».
Ce désastre écologique est encouragé par l’absence d’application des lois, la corruption, les intérêts des investisseurs bangladais et étrangers et le manque cruel d’attention pour l’environnement au sein de la population. Les activistes, journalistes, scientifiques et avocats, membres d’organisations bangladaises de défense de l’environnement, sont régulièrement menacés, voire physiquement agressés, pour le combat qu’ils mènent.
Si les rivières Turag, Tongi Khal, Balu et Lakhya qui entourent Dhaka devaient connaître un scénario identique à celui de la rivière Buriganga, l’équilibre écologique de la ville serait irrémédiablement bouleversé et Dhaka deviendrait invivable.
Gaël Turine