Je suis devenu journaliste parce que je voulais voir par moi-même ce qui se passait dans le monde. En fait, les photographes voient et vivent au travers de ce qu’ils montrent, je me suis donc senti tel un historien au front, figeant sur papier l’instant présent pour la postérité. Après tout, nous couvrons des événements marquants : guerres, révolutions, famines, épidémies, écarts de conduite et extravagances des riches et puissants de ce monde.

Mais rapidement, j’ai senti qu’il me manquait quelque chose. Quid de toutes ces choses simplement amusantes ou curieuses ou tout bonnement là, triomphalement et extraordinairement présentes ? Ou encore inutiles, banales, pêle-mêle ? En d’autres termes, ce que je vois vraiment au quotidien. J’ai donc aussi beaucoup photographié ces choses là.

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Au début des années 70, le gouvernement américain a commencé à faire appel à des agents provocateurs pour discréditer les mouvements pour la paix ou pour le respect des droits de l’Homme en fomentant des émeutes afin de mieux justifier une répression sévère. La seule façon pour un journaliste de révéler que les casseurs étaient des policiers aurait été de les montrer portant des T-shirts marqués ‘POLICE’. Le gouvernement avait perfectionné ses techniques de propagande et je ne voulais pas être un messager. Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles semblent.

Je voulais prendre des photos représentant d’authentiques expériences du monde tel que je le voyais. Je voulais pouvoir dire, ne serait-ce qu’à moi-même, qu’elles étaient vraies... J’ai donc rangé mes cartes de presse dans un tiroir et suis parti dans un pays où je me sentais bien, mais dont je ne parlais pas la langue : le Yucatán. Je n’avais aucun moyen de savoir ce qui se passait, si ce n’est au travers de ce que je voyais. Je n’ai pas fait appel à un guide. Je me suis baladé en attendant d’avoir une envie irrésistible de prendre une photo, en attendant les moments où ce que je voyais autour de moi coïncidait avec ce que je ressentais à ce moment là ou à ce que j’avais ressenti un jour. J’ai marché et marché et regardé et vécu.

L’histoire peut appartenir à chacun d’entre nous, pas seulement aux rois et aux magnats du pétrole, aux papes et aux généraux (dont je n’ai jamais pu retenir les noms et les dates). J’ai décidé de ranger mes cartes de presse, accès privilégié, et de photographier pour moi. En tant que journaliste, j’ai tenté de montrer à quoi ressemble la vie d’aujourd’hui pour un homme ordinaire.

Charles Harbutt

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