Pour l’Agence France-Presse, c’est en 1985 que l’aventure de la Photo internationale a commencé. Pour Visa pour l’Image, à peine plus tard. 1989. Vingt ans déjà… Ou devrait-on dire “seulement 20 ans”… Vingt ans mais nombre de bouleversements et d’interrogations.

Il faut pourtant remonter bien plus loin pour trouver l’origine du photoreportage : 1855, la photographie faisait irruption dans le métier d’informer. Roger Fenton couvrait la guerre de Crimée. Une guerre … sans mort. Il s’agissait d’un reportage “officiel” et les contraintes techniques venaient ajouter aux difficultés de montrer. 36 coffres de matériel à transporter sur les champs de bataille, une lourde chambre photographique, des plaques de verre et des bains très sensibles… Aujourd’hui, on se déplace léger pour une transmission “minute”. Mais si le reportage n’est plus “officiel”, on s’interroge encore sur ce qui peut être montré et ce qui ne devrait pas l’être. Certaines choses doivent-elles rester “invisibles”, “tues” ? Ainsi a-t-on pu voir un 11 Septembre 2001 sans cadavres ni corps brisés.

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Années 1920 – 1930 : c’est l'essor du photojournalisme. Les sujets « historiques » foisonnent : le Front populaire en France; les premiers congés payés; la Guerre Civile espagnole. Le monde prend conscience du pouvoir de l'image, les hommes politiques se veulent alors complices… Depuis, le phénomène n'a cessé de s'amplifier. Et maintenant le débat fait rage : proximité avec « le sujet », rôle, limites, devoirs du photoreporter... En témoigne cette image de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, entouré en 2006 de journalistes, séduits. Voire fascinés ?

Il y eut un âge d'or. La guerre du Vietnam fit des pleines pages... La photo de presse prit possession des magazines et des journaux Mais au cours des 20 dernières années, elle a perdu de sa superbe. Les magazines ont désormais d'autres préoccupations : consommation, " people ". On parle de contraintes économiques (le reportage coûte cher). Contraintes ? Ou confort ? Toujours est-il que le "rêve" qui nous est désormais proposé à longueur de pages a pour conséquence (sinon pour objet ?) de nous laisser dans un confortable silence, faute d’alimenter notre réflexion.

L'image peut être dangereuse. Elle pointe du doigt, questionne. Nous laisse approcher une part de vérité. Nous force à regarder, à voir, à dire. Et c'est là une mission essentielle des grandes agences : poursuivre sur cette voie. Là est le sens de ces images qui témoignent de l'Histoire des 20 dernières années. Mogadiscio, les Twin Towers, Beslan.

Des instantanés qui « s'impriment » dans la tête. Eléments de mémoire donnant un sens historique à l'instant fugitif, instants capturés dont se saisit alors l’imaginaire.

Ainsi, l’enfant soldat pointant son arme au milieu d'une rue de Monrovia, témoin d'une réalité sordide du Libéria. Impossible de ne pas imaginer derrière l’image figée, l'histoire de ce garçon hurlant qui porte un ours en peluche dans le dos. Ou la détermination absolue du peuple tchétchène face à la puissante armée russe, qui se lit dans la posture de ce vieillard, kalachnikov à la main, dans une rue boueuse de Grozny en 1995. Un peuple tout entier devenu combattant. Et la fiction là aussi se déroule. Est-ce la mort d’un fils sous les bombes russes qui a poussé le vieil homme, inexpérimenté et sans doute bientôt mort à son tour, à prendre les armes… Déjà, derrière lui, l'ombre de sa petite fille Zinaida qui prendra plus tard la voie de la résistance extrême, quand les hommes tombés au combat ne pourront plus se compter.

Quelle histoire et quelle vérité derrière ce garçon blond, claudiquant, comme perdu dans ce cimetière de Bosnie qui semble ne pas vouloir finir ?

Une partie de l'Histoire. Une vérité. Une partie de la vérité…

La photo de presse n'est pas un document comme les autres. Son pouvoir évocateur et émotionnel est immense. D'où ces dernières années, le refus de toute "esthétique", de tout affectif, chez nombre de photoreporters, entendant résolument s'éloigner de "l'humanisme" des années d'après-guerre. Mais même dans le plus strict "style documentaire", le photographe se doit de construire son sujet. Sans la construction par l’œil du photographe, on "rapporterait" sans donner à comprendre. Et parfois, sans cette « esthétique », certaines réalités trop brutales ne pourraient être montrées.

Le photojournaliste, qu'il touche à la détresse du RMIste, l'absurdité de la guerre ou la brutalité de l'enfance, se retrouve frontalement face à l'événement. Il doit tout à la fois être au plus près et s'effacer. Donner à voir et disparaître. Donner à toucher et garder ses distances. Veiller à ne pas se faire happer. Les images restent sur la rétine. Les histoires dans le cœur et le cerveau. Personne n'en sort indemne. A commencer par le photographe.

Marielle Eudes, Directrice de la Photo à l'AFP.

Agence France-Presse

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