A la fin des années ‘80, Eric Valli découvrait les chasseurs de miel Gurung, une tribu népalaise inconnue jusqu’au reportage réalisé en collaboration avec Diane Summers et couronné par le premier prix nature du World Press 1989. Presque dix ans plus tard, un étrange concours de circonstances le met sur la piste des Rajis, autre tribu népalaise semi-nomade vivant elle aussi de la chasse au miel et de la pêche. Pendant près de huit mois, Eric Valli a suivi le “peuple des abeilles” (Beri ko manché comme on les appelle là-bas).

Avec Bahadour et Maskey, les deux chasseurs de miel de la tribu, Eric Valli découvre l’univers vertigineux et surréaliste des simals, ces grands arbres magnifiques aux branches desquels pendent les superbes nids des Apis Dorsata, ces abeilles sauvages de près de trois centimètres de long.

Escalader ces géants à la même peau rugueuse que les éléphants qui viennent s’y gratter les flancs, récolter les nids à plus de quinze, vingt ou trente mètres du sol, affronter des nuées d’abeilles déchaînées puis redescendre sur terre à la nuit tombée; dormir à même le sol, arpenter une jungle encore sauvage, croiser les territoires des grands fauves; remonter la rivière à la poursuite d’énormes poissons-chats, vivre avec ces hommes et ces femmes, les connaître, apprendre à récolter le miel, à pêcher, comprendre leur univers, voilà ce à quoi Eric Valli s’est attaché pendant près d’une année.

Ces photos, si elles ouvrent une fenêtre sur un univers sauvage inconnu et fascinant par bien des aspects ne doivent pas occulter une réalité beaucoup plus rude. Les Rajis et leur mode de vie, sont en effet aujourd’hui menacés. La plaine du Téraï, autrefois fermée à toute colonisation à cause de la malaria qui sévissait durant les mois d’été, a été, dans les années 50 assainie à grand renfort de DDT. Les paysans descendus des montagnes se sont installés sur ces territoires offerts par le gouvernement. Ils ont coupé les arbres, étendu leurs récoltes, se sont enrichis et multipliés. La jungle qui abritait les Rajis s’est clairsemée jusqu’à réduire leur zone de récolte aux abords des grands parcs nationaux, à quelques arbres épargnés par la déforestation, devenus la propriété de riches paysans avec lesquels les Rajis partagent leur récolte.

Plus de 20.000 en 1964, les Rajis dépassent à peine les 3000 aujourd’hui. “Avant dans la forêt”, raconte Pagou Ram, l’ancien, “il nous suffisait de prier. Les Dieux venaient. Nous ne savions pas à quoi ils ressemblaient mais nous savions qu’ils étaient là. Dans cet arbre, dans cette pierre. Maintenant, je sais à quoi ils ressemblent. J’ai vu leurs photos sur les calendriers du bazar mais il n’y a plus d’arbre ni de pierre. Les Dieux, les démons, les animaux sauvages, la forêt, tous sont partis effrayés par le nombre des hommes. Un matin, je me suis réveillé, je n’avais plus nulle part où aller.”

Le gouvernement, désireux de sédentariser les Rajis, leur a cependant offert des terres. Mais qu’est-ce qu’un hectare à cultiver pour un nomade? Ces terres, ils n’ont su les garder. Exploités, méprisés, voués à la misère, victimes de l’alcool comme autrefois les Indiens d’Amérique, les Rajis sont pour la majeure partie d’entre eux devenus les serfs de paysans plus riches qu’eux. Seuls quelques groupes comme celui de Bahadour vivent comme leurs ancêtres, chasseurs de miel et pêcheurs, libres encore mais pour combien de temps?

Eric Valli

portrait_valli.jpg
Voir les archives