Coups de klaxon frénétiques. L’ouverture de l’imposant portail se déclenche. Une petite voiture bleue s’engouffre à l’intérieur, les portières s’ouvrent : deux hommes en sueur, couverts de sang, tiennent un corps dans leurs bras. J’ai du mal à respirer, le cœur qui cogne ; on sort le corps de la voiture. Est-il encore en vie ? Une infirmière vérifie le pouls. Rossy Mukendi, militant, professeur d’université et père de deux enfants, est déclaré mort. Il aurait été abattu par les forces de l’ordre lors d’une manifestation politique.
Nous sommes à Kinshasa, le 25 février 2018.
Alors que le climat politique étouffant continue de peser sur la vie de millions de Congolais dans les grandes villes du pays, des conflits locaux ont été ravivés dans des régions qu’on pensait en paix, et de nouveaux conflits ont émergé successivement. Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi. Et pourquoi maintenant ?
Depuis des décennies, la République démocratique du Congo est rongée par les crises politiques, les conflits et la cupidité. Depuis des décennies, les Congolais subissent et résistent.
Dans l’ouest du pays, sur la rive sud du fleuve Congo, 13 millions d’âmes luttent pour mener une vie normale, piégés dans les rues saturées et irrespirables de Kinshasa. Depuis la fin théorique de son deuxième mandat, le 19 décembre 2016, le président Joseph Kabila refuse de lâcher les rênes du pouvoir. Des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de la capitale pour réclamer sa démission. Dernièrement, des manifestants ont été tués et des milliers de voix réduites au silence. La liberté d’exprimer des opinions politiques différentes est de plus en plus réprimée. L’élection présidentielle a été reportée à deux reprises et est actuellement annoncée pour le mois de décembre 2018.

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L’est du pays regorge de milices ; elles sont près de 120 à se disputer les abondantes ressources minérales. Des années de combats avec les forces gouvernementales ont provoqué le déplacement de millions de Congolais, à l’intérieur du pays ou dans les pays limitrophes ; des communautés entières ont été déplacées à plusieurs reprises, vouées à l’errance dans un cycle qui semble sans fin.
La province du Kasaï, au centre de la RDC, était auparavant une région paisible. Mais vers la fin 2016, un violent conflit a éclaté entre la milice locale Kamuina Nsapu et les forces armées. Les FARDC (Forces armées de la RDC) ont tué un chef local, célèbre opposant du président Kabila, déclenchant une crise qui s’est transformée en conflit sur fond de rivalités ethniques. Des chiffres accablants : plus de 3 000 morts et 1,4 million de déplacés à l’intérieur même de la province, et un plus grand nombre encore de réfugiés dans le nord de l’Angola. En octobre 2017, quatre saisons consécutives de récoltes avaient été perdues et les réserves étaient épuisées ; la famine et la mort menaçaient des centaines de milliers de personnes.
Au nord-est, la province de l’Ituri, sur les rives du lac Albert, est peuplée majoritairement de Hema (éleveurs) et de Lendu (agriculteurs). Ici, dans le vaste lac situé à cheval entre la RDC et l’Ouganda, une réserve de pétrole a récemment été découverte, d’un potentiel de production estimé à des milliards de barils. Les Hema et les Lendu se disputent ces terres depuis longtemps. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, ce conflit tribal s’était transformé en une guerre brutale et plus large, alimentée par le Rwanda et l’Ouganda qui menaient une guerre par procuration pour prendre le contrôle des richesses minières. Les combats avaient fait alors 50 000 morts et, de nouveau, des communautés entières avaient été obligées de fuir. Un processus de médiation et l’intervention d’une force internationale de maintien de la paix avaient réussi à faire reculer la violence, et les communautés déplacées avaient pu retrouver leurs villages, leurs terres et leur bétail. Mais à la fin de 2017, le conflit a repris, et ceux qui avaient survécu aux machettes, à la violence et aux déplacements forcés se sont vus revivre le même cauchemar. Les villages Lendu ont été ciblés par une série d’attaques ; les assaillants armés de machettes ont mis le feu aux maisons et aux champs. Des milliers de villageois se sont rués vers les rives du lac Albert dans l’espoir de pouvoir effectuer la traversée vers l’Ouganda qui accueillait déjà plus de 80 000 réfugiés de la province de l’Ituri. En quelques semaines, les propriétaires d’embarcations ont triplé le prix du passage et de nombreux villageois sont restés piégés sur la rive congolaise du lac, vivant dans la crainte perpétuelle d’une nouvelle attaque, réduits au désespoir.
Il n’y a, semble-t-il, aucune issue. Dans ce contexte de climat politique étouffant, de conflits prêts à éclater, de déplacements massifs et de malnutrition, on ne peut que s’interroger : quand les Congolais pourront-ils enfin respirer ?

John Wessels
Kinshasa, juin 2018

John Wessels

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