Lauréat·e : Visa d’or humanitaire du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) 2011

« Martyr, ton sang n’a pas coulé en vain », chantent les révolutionnaires yéménites

Étudiants, chômeurs, laissés-pour-compte et déçus, ils sont tous là, en rangs serrés, sur le parvis de la nouvelle université de Sanaa, rebaptisé « place du Changement ». Ils n’en bougeront pas avant que le président Ali Abdallah Saleh, à la tête du Yémen depuis 33 ans, n’ait quitté le pouvoir. Des reliefs du nord aux vallées du sud, des côtes de la mer Rouge aux wadis de l’Hadramaout, plus une province du Yémen n’échappe désormais aux mobilisations de la jeunesse. Les « révolutionnaires » forment l’un des groupes les plus improbables qui soit. Le premier succès de la révolution est sans doute là. Les Yéménites s’observent et se parlent. Ils se découvrent. Les hommes des tribus échangent avec de jeunes étudiants en communication, des parlementaires socialistes débattent avec des musulmanes, des commerçants de la vielle ville écoutent des officiers des forces aériennes. Peu importe l’uniforme ou le titre. « Nous sommes tous les fils du Yémen ! », aiment à répéter les manifestants.

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Au fur et à mesure que le camp du changement s’élargissait, le parti présidentiel connaissait une érosion spectaculaire. Diplomates, ministres, députés, gouverneurs, officiers, cheiks… Ils sont nombreux, ces fidèles partisans d’Ali Abdallah Saleh, à s’être ralliés au mot d’ordre principal des manifestants : le président doit partir et le régime doit tomber. Place du Changement à Sanaa, ou place de la Liberté à Taez, ces milliers de citoyens ont fait le choix d’une méthode de lutte : le pacifisme. La voici, l’autre originalité de cette « révolution » : elle se fait sans armes. Dans un pays où circulent plus de cinquante millions d’armes à feu, et malgré les nombreux contrôles militaires qui filtrent les accès à la capitale, il n’est pas très compliqué de se procurer un AK-47 ou un lance-roquettes. Mais les opposants ont découvert qu’il était possible de revendiquer sans violence, simplement par des mots et une présence. La confrontation armée entre le président Saleh et le clan de la tribu Al-Ahmar, dans le nord de la capitale, a pourtant menacé de faire glisser la « révolution » vers une guerre civile. Les manifestants ont aussi essuyé les tirs aveugles de snipers embusqués sur les toits, les gaz lacrymogènes et les coups de matraque assénés par les forces de la sécurité centrale. Mais, pacifiques jusqu’au bout, eux n’ont pas tiré une seule balle. Alors que le président Saleh est toujours hospitalisé en Arabie Saoudite, les « révolutionnaires » tentent de provoquer un transfert progressif, et pacifique, du pouvoir. Ils réclament aussi la consolidation d’un régime parlementaire. Ce nouveau Yémen qu’ils appellent de leurs vœux devra s’attaquer à la corruption et à l’injustice. Le temps de consacrer un succès qu’ils estiment inéluctable, ils repartiront dans les rues. Ils savent pourtant que les services de sécurité les y attendent. Alors ils chanteront : « Martyr, ton sang n’a pas coulé en vain. »

François-Xavier Trégan, le 3 juillet 2011.

Ce travail n’aurait pu s’effectuer sans l’aide des commandes du Monde Magazine et du magazine ELLE.

Catalina Martin-Chico

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© Fateme Sagheb
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