Le photo-journaliste néerlandais Geert van Kesteren est basé à Amsterdam. Son livre Mwendanjangula! Aids in Zambia, qui fait un état des lieux de la pandémie de SIDA en Afrique, a été, lors de sa parution, fortement critiqué et interdit lors du Congrès International sur le SIDA en Afrique du Sud en 2000, en dépit des nombreuses récompenses internationales reçues et de la publication de ces photos dans un grand nombre de grandes revues de par le monde.

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Van Kesteren se rend fréquemment en Afrique et au Moyen-Orient. Son premier voyage en Iraq date de 1998 pendant l’opération Renard du Désert, pour le quotidien néerlandais Vrij Nederland. Lors de son second séjour, en 2000, il a rencontré Uday Hussein, le play-boy sadique, fils de Saddam Hussein, à l’occasion d’une interview exclusive pour Stern magazine.

Tout juste une semaine après la fin de la guerre, il est retourné à Bagdad. En mission pour l’Unicef, Newsweek et Der Stern, pendant presque sept mois, à quelques interruptions près, il a réalisé de nombreux reportages sur l’Iraq. Le résultat : un livre et une exposition intitulés Why Mister? Why? (Pourquoi Monsieur ? Pourquoi ?). Une œuvre qui témoigne des dérives en Iraq pendant l’occupation américaine. Un véritable “J’accuse” photo-journalistique. Les photos sont atroces dans leur beauté, et réussissent pourtant à faire passer le message. C’est l’expérience irakienne dans toute sa vérité, comme si vous y étiez. Elles interpellent le visiteur, l’obligent à s’arrêter, à réfléchir et à se poser des questions.

Dans son livre, Geert van Kesteren reprend les notes qu’il a consignées à l’époque dans son journal de voyage. La guerre est finie. Saddam est parti. Les villageois de Al Mahawil commencent à creuser en quête de vérité. Ils ne peuvent plus attendre. Une pelleteuse orange éventre cette terre hantée. Des dizaines, non, des centaines de squelettes sont déterrés. Alors que leurs âmes s’échappent de cette fosse commune, un manteau de tristesse s’abat sur les villageois présents. Nous pleurons tous.

“Saddam, Saddam, qu’as-tu fait ?”, sanglote Teddah Hafed, 80 ans. Elle rentre chez elle. Au-dessus de la camionnette, on a placé dans un cercueil les restes de ses fils Fasal et Naim. La femme de Fasal reconnaît la montre de son mari. Elle se frappe la poitrine en hurlant sa douleur. Son fils de treize ans n’a jamais connu son père. Il ne le connaîtra jamais. Trois jour avant que les restes de son père soient retrouvés, l’enfant a été tué. Par l’armée américaine. Le nouveau libérateur, le nouvel occupant.

C’est un des nombreux moments poignants de mon séjour en Iraq. L’espoir et le désespoir sont si proches. Cette dérision est-elle le lot de toutes les guerres ? Le sacrifice ultime pour la liberté ? Ou est-ce que rien n’a changé ? La violence fait place à la violence, le Roi est mort, Vive le Roi … … Fallait-il être obtus et naïf pour penser que l’Iraq était prêt à accepter une guerre, afin que l’Amérique puisse instaurer sa démocratie de conte de fée au Moyen-Orient ? La plupart des Irakiens auraient préféré que Saddam Hussein et Bush aillent se battre en duel au milieu du désert, colt à la ceinture, ça ne fait aucun doute. Alors, pourquoi est-il si difficile aux Américains de gagner les cœurs et les esprits ? Veulent-ils ou ne veulent-ils pas comprendre la culture irakienne ? Les Américains machos et arrogants avec leurs lunettes de soleil délirantes et leur musique hip-hop, face à l’Arabe, qui a appris à se méfier, et sans arrêt avec son thé et sa keffieh et sa Kalashnikov. Les femmes voilées, tellement différentes des minettes siliconées de Miami Beach…

…J’ai rencontré de jeunes soldats américains qui inspiraient la crainte et dont le souhait le plus cher était de rentrer à la maison. ‘Les Irakiens ne vous aimeront jamais’, disaient-ils, ‘Il faut donc qu’ils nous craignent’. Ils sont venus en Iraq sans parler un mot d’Arabe. Leurs supérieurs pensaient qu’ils n’avaient pas besoin de traducteurs. Le seul langage qu’ils connaissent aujourd’hui est celui de la méfiance, de la crainte et de la haine. Les graffitis sur la porte de leurs toilettes se passent de commentaires :
“Pourquoi Monsieur? Pourquoi ?”

Geert Van Kesteren

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