Le 28 avril 2000, l’armée philippine lança une offensive meurtrière contre les habitants de la zone centrale de l’île de Mindanao. Des centaines de milliers de civils subirent les conséquences de la “guerre totale” lancée par le président de l’époque Joseph Estrada contre le Front Moro de libération islamique (FMLI), mouvement sécessionniste luttant pour la création d’un état islamique indépendant dans le sud des Philippines. Si le gouvernement avait plusieurs fois, depuis trente ans, tenté d’écraser plusieurs groupes réclamant leur auto-détermination, la campagne contre le FMLI fut la plus destructrice depuis les années 70. Des centaines de civils périrent, des habitations furent brûlées et pillées, et ce conflit qui semblait n’offrir aucune issue mit à rude épreuve les relations entre chrétiens, musulmans et autochtones lumad. Les mois passant et les bombes continuant de tomber sur les maisons et les terres cultivées, la paix à Mindanao apparaissait comme un espoir insaisissable pour la majorité des 800.000 personnes déplacées par les combats. Mais à l’issue d’une lutte de pouvoir se jouant à Manille, ce rêve devait devenir moins inaccessible. Le 20 janvier 2001, des millions de Philippins invoquèrent à nouveau l’esprit du People Power pour évincer l’homme qui dépensa un million de dollars par jour pour faire la guerre dans le sud de l’archipel. Remplaçant Estrada à la présidence, Gloria Macapagal Arroyo annonça que la question de la paix à Mindanao deviendrait la toute première priorité de son nouveau gouvernement. Vers la mi-mars, les négociateurs de paix du FMLI et du gouvernement signèrent un cessez-le-feu bilatéral permettant à la majorité des réfugiés de rentrer dans leur foyer.

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Je me suis rendu pour la première fois dans le centre de Mindanao en mars 2001, un mois après l’établissement de la trêve. Utilisant le Centre pour la paix, la justice et l’intégrité de la création de l’Université Notre-Dame comme base, j’ai photographié d’anciens réfugiés qui tentaient de recoller les morceaux de leur vie brisée après avoir vécu pendant des mois dans la peur et la misère totales. Mes premières images ont surtout porté sur les dommages structurels provoqués par la guerre, et ne révélaient qu’une infime partie de la souffrance infligée aux communautés vivant dans cette magnifique région.

Après avoir parlé à des mères qui avaient tout perdu pendant le conflit, foyer et enfants, je pris conscience que, malgré leur histoire faite d’une infinie souffrance, elles désiraient sincèrement pardonner aux responsables d’avoir commis ces actes de violence. Certaines communautés commençaient déjà à laisser de côté les vieux préjugés exacerbés par des décennies de conflit ethnique et politique. Même avant la fin officielle de la guerre, musulmans, chrétiens et lumads tentaient déjà de se rencontrer afin de partager la diversité et la richesse de leurs cultures, de leurs religions, et de trouver de nouvelles voies menant au rétablissement de la confiance et du respect mutuel. Bien que les peuples coexistaient depuis des générations, ces espaces de dialogue furent parmi les premiers lieux où des voisins d’origines différentes purent se rassembler pour se réconcilier et forger une vision commune pour une paix durable. En tant que photographe engagé en faveur de la non violence, ce voyage vers la paix à Mindanao a exercé sur moi une grande fascination car il correspondait aux valeurs que je tiens pour primordiales. Grâce au soutien de la Southern Philippines Foundation for the Arts, Culture and Ecology (SPACE – Fondation des Philippines du sud pour les arts, la culture et l’écologie), je retournai en cette « Terre d’espoir » en novembre 2001 afin de continuer mon reportage sur ce louable processus de renouveau et de réconciliation.

Cependant, à mon retour, je découvris que les forces gouvernementales et les soldats du FMLI avaient rompu le cessez-le-feu à plusieurs reprises. Alors que, réunis autour de la table de négociations, les responsables politiques et les leaders rebelles formulaient de vaines promesses, des combats sporadiques éclataient et des civils se voyaient obligés de prendre la fuite. Qui plus est, les États-Unis avaient déployé 1.000 soldats au sud-ouest de Mindanao afin d’entraîner et de fournir un soutien logistique aux troupes gouvernementales philippines dans leur lutte contre Abu Sayyaf, groupe de preneurs d’otages à la sinistre réputation, soupçonné d’entretenir des liens avec Al-Qaïda. Cette intervention, considérée comme la deuxième phase de la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme, a provoqué la colère de nombreux habitants de l’île de Mindanao, inquiets de l’éventuelle déstabilisation de la région que provoqueraient les exercices communs. En dépit de la militarisation croissante de l’île, les trois peuples n’ont pas abandonné leurs campagnes de paix.

Mon rôle a été de témoigner du combat pour faire de Mindanao un lieu de paix. La plupart des images exposées ici illustrent l’héritage du long conflit qui a miné la région centrale de l’île. Parce que toute lutte est faite d’échecs comme de réussites, une partie de mon reportage se devait de révéler certains des obstacles au processus de paix. Mais les photos soulignent également les victoires, modestes mais puissantes, obtenues grâce au dialogue et à la réconciliation. Si le photojournalisme peut servir à illuminer ce qui est obscur et tient de l’impossible, alors il est tout aussi important qu’il serve à mettre en exergue tout ce qui relève du possible. Je forme le vœu que mes images y parviennent quelque peu.

Ryan Anson

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