Je suis Elliott Erwitt et ce, depuis pas mal d’années. Quand je me lève le matin, je me brosse les dents et je vaque à mes occupations, et si je vais quelque part d’intéressant, j’emporte mon appareil photo avec moi. Faire rire les gens est une des plus belles satisfactions que l’on puisse avoir. Et quand on réussit à faire rire et pleurer, comme Chaplin, ça c’est vraiment le nec plus ultra des satisfactions; je ne sais pas si c’est ce que j’essaie de faire, mais je dois reconnaître que c’est le top. Quand on maîtrise bien la photographie, c’est bigrement intéressant, mais quand on la maîtrise très bien, ça devient irrationnel et même magique… ça n’a plus grand-chose à voir avec la volonté ou les choix conscients du photographe. Quand la photographie survient, elle est facile à prendre, c’est un cadeau qu’on ne doit pas chercher à analyser ou remettre en question.

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Certains disent que mes photos sont tristes, d’autres pensent qu’elles sont amusantes. Amusant et triste, n’est-ce pas la même chose ? En les conjuguant, on aboutit à la normalité. En général, je ne réfléchis pas trop. Quand je parle de mes photos, je dois réfléchir un petit peu, et je suis honnête, mais je ne sais jamais ce qui vient vraiment de moi ou ce que j’ai entendu dire, ni même d’où viennent les mots. En tout cas, je n’utilise pas ces drôles de mots que les gens des musées et les critiques affectionnent. On doit laisser la place à l’interprétation. Si on ne peut pas critiquer, alors peut-être que ça ne veut rien dire du tout. Depuis quarante ans, je prends mes «clichés» à moi, parce que j’en ai envie. C’est un secret qu’on devrait peut-être garder : la photographie est un métier pour les paresseux. Pas besoin de formation, comme pour devenir musicien ou docteur ou danseur étoile. Il suffit simplement d’être capable de composer et d’ordonner, ou de trouver le bon équilibre, la bonne ambiance. Et, à l’occasion, par ce travail, on peut révéler un message. C’est suffisant. Etre au bon endroit au bon moment peut aussi aider. Il existe deux types de compositions. Celle cadrée par le viseur et celle de l’image elle-même, sa dynamique. La seconde peut être présente même quand la première est mal organisée. Donc, quand ça s’impose, je n’ai rien contre le fait de recadrer. Certains sont un peu maniaques à ce sujet, mais rogner n’a rien d’immoral. Bien sûr, c’est mieux quand on n’est pas obligé de le faire, quand on trouve la composition dynamique de la photo et qu'on la marie avec bonheur à la composition du viseur. Je ne mets quasiment jamais en scène mes photos, j’attends qu’elles arrivent … je leur laisse le temps. Quelquefois, on croit que quelque chose va se passer, alors on attend. Parfois ça paye, parfois pas. C’est ce qu’il y a de merveilleux avec la photographie : des choses peuvent se passer. C’est pas que je sois contre la mise-en-scène ou quoi que ce soit, tant qu’on ne triche pas et qu’on n’a pas de fausses intentions. Quand on attend aussi, d’une certaine façon, on arrange et on manipule. On s’apprête à figer l’instant, lorsqu’il arrivera, exactement comme on le veut. D’accord, je sais, je suis sûrement en train de me contredire. Je ne crois pas que j’emporte mon appareil pour prendre des photos; je pense que c’est plus comme un doudou, pour me rassurer. Se balader avec un doudou quand on est grand, c’est pas très pratique, mais un appareil photo, c’est petit et on peut le trimbaler facilement. Le fait est que quand tu n’as pas ton appareil photo avec toi, c’est à ce moment là que tu vois des photos que tu aimerais prendre. Quand tu l’as avec toi, si tu vois une photo que tu aimerais prendre, tu peux la prendre. Mes photos permettent à certains de voir les choses d’une façon différente, elles leur permettent de regarder des choses sérieuses de façon non sérieuse. Tout est sérieux. Tout est frivole.

Exposition réalisée grâce au soutien du Ministère de la Culture et de la Communication - Délégation aux Arts Plastiques

Elliott Erwitt

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