Munem Wasif poursuit avec constance le travail qui l’a fait connaître dès ses premières images. Il continue à travailler chez lui, au Bangladesh, et même s’il voyage pour présenter ses expositions ou donner des conférences, il sait qu’il doit témoigner de l’intérieur d’une situation qui a, depuis le 11 Septembre, mis l’islam au centre des préoccupations, tout en en développant une perception de l’extérieur qui, pour cause de « guerre au terrorisme », entraîne des a priori pour le moins problématiques.

Venant du Bangladesh, portant une courte barbe, Wasif dit avoir souvent senti de la suspicion et une forme d’hostilité dans certains regards, jusque dans le métro parisien, et sans parler du passage des frontières. Une sensation d’autant plus aiguë qu’il était conscient que les signes extérieurs tels que le voile, le calot ou la barbe étaient, hâtivement, interprétés comme des signes d’intégrisme – donc de dangerosité – et non perçus comme le signe d’une appartenance à une culture.

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Pour Wasif, une telle perception, outre qu’elle est évidemment fort désagréable, ne correspond en rien à la réalité, à ce qu’il vit chez lui. C’est une image véhiculée par les médias, simpliste et caricaturale, qui ne rend pas compte d’une situation aussi complexe que diversifiée. Il a donc décidé de tout simplement regarder et montrer des pratiques de l’islam dans son environnement le plus proche. Né dans une famille de la classe moyenne, dont le père est un fervent croyant – ce qui ne l’empêche pas d’être très ouvert et tolérant –, Wasif a choisi deux personnages qu’il suit dans leur vie quotidienne.

D’une part, sa sœur Munmun, qui au retour l’an passé de son « hajj » (pèlerinage à La Mecque) a décidé de porter le hijab, et qui a depuis, aux yeux de Wasif, acquis une nouvelle confiance en elle. D’autre part, un de ses amis, Topu, jeune photographe suivant les enseignements de l’ordre de Mahomet (dernier prophète de l’islam) et qui cherche à trouver une représentation orthodoxe de sa religion.

« Raconter une histoire autour de “nous” qui croyons en Dieu » lui est apparu comme une nécessité lorsqu’il s’est aperçu que c’était essentiellement « les autres » qui en construisaient et diffusaient l’image : celle de « fanatiques », « fondamentalistes », « terroristes » au nom de l’islam. « Nos cœurs, nos esprits, et même nos constructions visuelles, sont désormais habités par les pensées et idées occidentales qui nous font croire que les madrasas sont le berceau du terrorisme. Mais la vie des enfants des madrasas est parfaitement comparable à celle des autres enfants : ils jouent dans des espaces grands ouverts, lisent des livres, chantent fort et jouent au badminton avec détermination. Au Bangladesh, l’islam évoque les couleurs multiples d’un miroir au soleil. Le voile et le rouge à lèvres sont présents, de même que nous portons des jeans aussi bien que la barbe… Chez nous les gens vont se recueillir sur les tombes sans penser à la réincarnation, mais il y a également des fakirs et des saints qui, dans les mazars, continuent à chanter des prières pour le repos éternel. »

Wasif s’impose la rigueur de cadrages fermes mais souples, une attention extrême à la lumière. Il cultive son goût pour les contrastes et une indéniable élégance de la composition, dans un classicisme de bon goût. C’est ce qui lui permet d’établir une grande cohérence visuelle de ses « histoires » et de les rendre tout à la fois indéniables et non démonstratives. Il nous fait ainsi percevoir « la présence de l’islam dans la vie des gens et non un symbole d’oppression ».

Christian Caujolle

Munem Wasif

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