C’est à l’occasion d’un portrait de Brooke Astor, la grande dame des salons new-yorkais, que je réalisai pour le New York Times magazine, que j’ai commencé à m’intéresser à la haute société américaine. Astor, qui frisait à l’époque les quatre-vingt-dix ans, s’était séparée d’une partie de sa fortune par des dons d’une valeur totale de 200 millions de dollars depuis la mort de son mari dans les années cinquante.

Je l’ai côtoyée pendant quelques jours, l’accompagnant de gala de bienfaisance en centre d’accueil pour les sans-abri à Harlem. C’était une femme élégante et policée, qui portait une robe Chanel, un chapeau noir et des gants blancs remontant jusqu’aux coudes pour visiter une école élémentaire d’Harlem et sa bibliothèque, à laquelle elle avait décidé de donner de l’argent. Assise dans le bureau du proviseur de cette école noire, elle parlait de son livre préféré étant petite, “Little Black Sambo”, regrettant que l’on ne lise plus ce livre à l’école.

Depuis plusieurs années déjà je photographie les galas et dîners de bienfaisance, les bals de débutantes. Un billet pour un tel événement peut coûter jusqu’à 10 000 dollars, et les habits de haute couture pour la soirée facilement le double. Les parents peuvent dépenser parfois 100 000 dollars pour un bal de débutante, où leur fille fera son entrée dans la société. Traditionnellement, au bal, chaque débutante est présentée par une jeune homme en cravate blanche et un militaire. “Elles doivent profiter de chaque occasion qui se présente”, selon Margaret Stewart Hedberg, organisatrice de l’International Debutante Ball.

C’est au début du siècle fut inventée la haute société américaine, lorsque l’un de ses membres fit une liste de 400 personnes du même milieu. A chaque nouvelle génération, la liste évolue, à mesure que de nouveaux gisements de richesse apparaissent et que de vieilles fortunes de famille s’épuisent. Brooke Astor est toujours en tête de liste, mais cette année a versé les derniers deniers de sa fondation. Elle dit avoir l’intention de se retirer dans un des nombreux domaines avec jardins.

Après la parution de l’article et des photos dans le New York Times, une représentante de la Fondation Astor m’avait demandé un tirage d’un des portraits, qu’elle souhaitait offrir à Mme Astor à l’occasion de son 90ème anniversaire. Je décidai de déposer moi-même ce tirage à la Fondation, sur Park Avenue. Lorsque je frappai à la porte, les occupants ne voulurent pas me laisser entrer. Ils me demandèrent de glisser l’enveloppe sous la porte : ils avaient peur que je ne les dévalise.

Mark Peterson, mai 1998

Mark Peterson

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