On les appelle les «maras». Construits sur le modèle des gangs de Los Angeles, ces groupes de jeunes sèment la terreur dans toute l’Amérique centrale. Plongée dans les banlieues de San Salvador dans le quotidien des membres d’une armée invisible, nouveau fléau mondial qui détruit par la violence aveugle les principes démocratiques et condamne à mort une jeunesse privée de tout espoir d’avenir.

À l’image des marabundas, fourmis d’Amazonie qui dévorent tout sur leur passage, les mareros, ces jeunes gens tatoués de la tête aux pieds et voués au trafic d’armes et de drogue, colonisent peu à peu toute l’Amérique centrale. Selon une enquête publiée en 2003 par les polices locales, ils seraient quelque 70 000 répartis en trois zones principales : 36 000 au Honduras, 14 000 au Guatemala et 17 500 à El Salvador. Trois pays présentant, après la Colombie, le plus fort taux de criminalité du continent.

Conséquence indirecte de la mondialisation, c’est à Los Angeles que les jeunes immigrés latinos ont monté les deux principaux gangs qui s’affrontent aujourd’hui en Amérique centrale : la Maras Salvatrucha (dite MS) et la M18 qui ont chacune leur langage codé, leurs rites, leurs tatouages et se haïssent cordialement. Aucun différend idéologique ou religieux n’explique cette lutte à mort dont l’origine, perdue dans les bas-fonds des barrios hispaniques de Los Angeles, est oubliée de tous. Chaque semaine, un avion fédéral en provenance du Texas ou de la Californie, ramène à San Salvador, une centaine de déportés enchaînés sur leur siège. Immigrés illégaux pour la plupart, arrêtés après un simple contrôle, ou mareros (entre 2 et 5%) condamnés aux Etats-Unis et renvoyés une fois leur peine effectuée. Des expulsions massives qui contribuent au développement des gangs en Amérique centrale, mais ne suffisent cependant pas à expliquer l’ampleur du phénomène.

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A El Salvador, comme dans toute la région, les années de guerre ont laissé des traces profondes. La violence demeure endémique, quelque 400 000 armes à feu circulent encore dans le pays et se vendent à des prix dérisoires. La consommation de drogue et la prostitution sont considérables et s’accroissent avec la libéralisation à marche forcée de l’économie qui déstabilise l’ensemble du tissu social. Pour la seule année 2007, le nombre d’homicides est de 4 000 selon les sources policières. Dans un pays de 5,8 millions d’habitants, cela représente 11 morts par jour, les trois quarts étant le fait de règlements de comptes entre mareros.

La première offensive contre les Maras a été engagée l’hiver 2003 au Honduras par le président Ricardo Maduro, dont le fils a été kidnappé et tué il y a quelques années. S’inspirant de la politique de « tolérance-zéro » de l’ancien maire de New York, Rudolph Giuliani, il a fait voter une loi condamnant de neuf à douze ans de prison le seul fait d’appartenir à une mara. Des milliers de jeunes sont arrêtés, coupables de porter des tatouages ou de vagabonder sur la voie publique. Quelques mois plus tard, le président salvadorien, Francisco Flores, adopte, à son tour, une loi similaire et lance le plan « Mano Dura » (main de fer), autorisant l’armée à patrouiller dans les rues au côté des policiers.

Une politique répressive qui rassure la population, mais dont l’efficacité reste douteuse. 16 132 suspects arrêtés en moins d’un an, mais seulement 807 instructions faute de preuves pour les autres. Cette loi anti-mara a d’ailleurs été déclarée anti-constitutionnelle parce qu’elle viole diverses conventions internationales. Elle ne résout aucun problème de pauvreté et de violence familiale, mais contribue à l’exclusion de ces jeunes. Contrairement à leurs aînés, guérilleros des années 70 et 80, ces derniers récusent toute idéologie et expriment leur rébellion dans une violence à la limite du tolérable pour tout être socialement conscient.

La Vida Loca, c’est la vraie vie, là-bas. Des mômes qui souffrent, qui nous défient, nous toisent, nous en veulent et ne nous aiment pas. Une expérience de l'ingratitude absolue de ce monde dans lequel ils ne revendiquent finalement que leur place. Un jaillissement de violence, quelque chose de la foudre fracassant le granit. Il n'y a pas, ici, de serment préalable.

Pour comprendre la haine de cette jeunesse envers la société, il faut d’abord en comprendre les fondements. C’est la haine de ceux à qui l’on a tout pris et rien rendu. La haine de ceux qui n’ont jamais rien possédé. La haine de l’exploitation, de la soumission et de l’humiliation quotidienne. Il ne s’agit pas d’un « choc de générations », mais d’un affrontement « anthropologique ».

Le pire pour les gouvernements concernés n’est pas d’être agressés ou détruits, c’est d’être humiliés à leur tour. La répression (les plans Mano Dura et Super Mano Dura) répond à l’agression, mais ne relève pas les défis socio-économiques. Une domination « machiste » qui ne propose aucune contrepartie. Acculée, la réponse de cette génération perdue se traduit finalement la négation de tout par la révolte et la mort… Un véritable dialogue de sourds !

Christian Poveda

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