Les mesures de répression prises contre les points de sortie traditionnels de l’opium afghan ont contraint les trafiquants à mettre le cap sur le nord. Résultat : une déferlante de drogue s’abat sur l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Badakhshan, tout le long de l’historique « Route de la Soie ». Osh, au Kirghizistan, est en passe de devenir la capitale mondiale de la vente d’opium, la plaque tournante d’une Route de la Soie - peut-être la voie la plus célèbre de l’histoire - qui reprend du service. La route qui déroulait ses huit mille kilomètres de méandres de la Chine aux ports de la Méditerranée, traversant d’immenses steppes, franchissant les hautes montagnes d’Afghanistan, a rouvert pour une raison impérieuse : acheminer une caravane de drogue de plus en plus importante à travers l’Asie centrale.

Depuis l’invasion américaine de 2001, l’Afghanistan est redevenu le plus grand producteur d’opium et d’héroïne au monde, et compte, selon les estimations des Nations unies, près d’un million de consommateurs. Pour la plupart, ces derniers fument encore l’opium, toutefois l’héroïne injectable a fait son apparition dans les rues de Kaboul il y a cinq ans. Aujourd’hui, estime la Banque Mondiale, la capitale afghane compte au moins 19 000 toxicomanes par voie intraveineuse.

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Les toxicomanes, des hommes dans leur grande majorité, envahissent les quartiers les plus anciens de Kaboul, ainsi que les banlieues et les provinces limitrophes. L’Afghanistan ne se contente pas d’exporter son opium, de renommée internationale : il est en train de devenir l'un des premiers pays exportateurs du HIV-SIDA. En effet, le virus HIV a quatre modes de transmission : le plus fréquent est l’injection de drogue, viennent ensuite les coupures chez le barbier, les soins dentaires et les relations sexuelles. La recrudescence du HIV-SIDA dans les pays voisins est liée à la consommation d’héroïne en provenance d’Afghanistan, conjuguée à un accroissement de la prise par la voie intraveineuse et du partage des seringues, deux pratiques qui ont un impact direct sur les taux de HIV et d’autres maladies transmises par le sang. Telles les caravanes de chameaux qui transportaient, il y a des milliers d’années, du thé et des épices, des véhicules rouillés, hérités de l’ère soviétique, longent aujourd’hui une des zones les plus isolées de la Route de la Soie, chargés de kilos d’opium emballés dans de la toile à sac. Ces 750 kilomètres d’asphalte, qui traversent les hautes montagnes du Pamir, sont pour les villageois la « Route de la Vie », leur unique lien avec le monde extérieur. Mais ce lien, vital, est devenu une autoroute pour passeurs de drogue, reliant les vastes champs de pavots d’Afghanistan aux bazars d’Asie centrale. L’hiver, il faut parfois une semaine aux passeurs pour franchir les vallées et défilés escarpés qui séparent Khorog, la capitale pamiri, proche de la frontière tadjik-afghane, de la ville d’Osh, sur le versant kirghiz des montagnes. Localement, la consommation d’opium est en pleine expansion : injecté par voie intraveineuse, il est bu en décoction, donné aux enfants en guise de somnifère, ou encore absorbé par les femmes pour tenir de longues heures de travail… La plus grande partie de cet opium, cependant, sera transformée en héroïne et finira dans les rues de Russie, ou, par des vols directs depuis les anciens Etats soviétiques, atteindra ses destinations les plus lucratives : l’Europe et l’Amérique.

Commande du Centre national des arts plastiques – Ministère de la Culture et de la Communication

Stanley Greene

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par Jean-François Leroy
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