La vie de Manoocher Deghati est un récit extraordinaire mêlant curiosité et courage. C’est un voyage à la poursuite de la vérité. Tout commence en Iran, son pays natal, d’où il est chassé pour avoir osé montrer au monde extérieur la réalité de la révolution et de la guerre avec l’Irak.

Il s’envole alors pour le Costa Rica où il organise le tout jeune bureau de l’Agence France-Presse dans la région. C’est un magicien polyglotte, qui a toujours sur lui un appareil et une chambre noire portable, et possède cette incroyable capacité à se trouver au bon endroit au bon moment. Ses images parlent d’elles-mêmes ; derrière chacune, on perçoit un mélange d’ingéniosité, de patience, de confiance gagnée et d’une pointe de ruse.

Prenez la photo de Yasser Arafat lors de son retour triomphal dans la bande de Gaza après 27 ans d’exil. Tous les photographes présents – et ils étaient nombreux – avaient l’image en tête, mais seul Manoocher a su saisir le moment au milieu de la foule en liesse acclamant son chef.

Plus tard, il frôle la mort au cours de violents affrontements à Ramallah. Une balle tirée par un sniper israélien lui brise la jambe. Ironie du sort, c’est une équipe de chirurgiens israéliens qui lui sauve la vie, passant plusieurs heures à reconstruire sa jambe, fragment par fragment.

S’ensuivent dix-huit mois éprouvants de rééducation à l’hôpital militaire des Invalides à Paris. D’autres, moins solides que lui, auraient succombé à la souffrance et aux opiacés administrés pour anesthésier la douleur. Mais pas Manoocher. Il reprend des forces, met de l’ordre dans ses archives photographiques, et profite de ce moment pour se pencher sur la vie et la réhabilitation des anciens combattants français. C’est à cette période qu’il se voit accorder la nationalité française par le président de la République Jacques Chirac.

Basé à Paris, Manoocher continue de voyager, retournant même à Ramallah où il photographie le Premier ministre français Lionel Jospin sous les jets de pierres de manifestants. Dans la cohue, une voiture officielle le renverse, brisant sa jambe déjà blessée.

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Mais Manoocher ne se décourage pas, il part en Afghanistan après la chute du régime des talibans. Là-bas, avec son frère Reza, photographe lui aussi, ils fondent l’association Aina à Kaboul, permettant à des Afghans d’être formés aux médias afin de pouvoir raconter l’histoire de leur pays.

Puis vient le Kenya, où il travaille pour l’agence de presse des Nations unies à Nairobi. Il s’occupe de former les photographes et de réunir des photos couvrant tout le continent. Alors qu’il s’apprête à repartir en Azerbaïdjan, je l’appelle pour lui proposer le poste de directeur photo de l’Associated Press au Moyen-Orient : il accepte aussitôt.

Avec cet incroyable sens du timing, il commence à travailler au Caire un jour avant que la révolution égyptienne n’éclate et passe les années suivantes à coordonner la couverture des révolutions et des soulèvements dans la région pour l’AP.

Manoocher était à la tête de l’équipe AP qui a gagné le prix Pulitzer pour sa couverture de la guerre civile en Syrie, montrant une nouvelle fois sa capacité à découvrir et faire grandir le talent photographique de par le monde.

En 2014, Manoocher décide de troquer son appareil contre des vignes et s’installe en Italie, dans la région des Pouilles, où il réfléchit à la prochaine étape de sa vie. Pendant plus de 25 ans d’une amitié née en Amérique centrale, j’ai observé Manoocher Deghati dans son travail (et dans la vie) et j’ai toujours admiré sa générosité et la richesse de son expérience. C’est une personne remarquable et c’est une chance pour nous tous de pouvoir le compter parmi les narrateurs de notre histoire.

Santiago Lyon - Vice-président et directeur de la Photographie, The Associated Press

Manoocher Deghati

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