“La guerre débuta en 1975, une guerre dans une société dite “civilisée”, menée contre les hommes et les femmes représentant les institutions, contre les magistrats, les hommes politiques, les policiers honnêtes, les journalistes. La plus importante guerre civile qui pouvait se produire dans une ville fut déclenchée parce que la mafia était allée trop loin, et que la tuerie avait désormais pris une ampleur allant au-delà des simples vendettas familiales.

Pour moi, l’appareil photo devint une arme. J’ai commencé à tout photographier. Du jour au lendemain, j’avais constitué les archives du carnage. Des archives faites de douleur, de désespoir, de jeunes toxicomanes, de jeunes veuves, de procès et d’arrestations.

Sous mon propre toit, Franco Zecchin et moi étions entourés de morts, de personnes assassinées. J’avais l’impression de me retrouver en pleine révolution. J’avais si peur…

J'estimais qu'il était de mon devoir, en tant que Sicilienne, de lutter contre ce démon. Il était inacceptable de laisser un acteur de la société, un acteur malveillant, décider du sort de tous les autres. Ainsi commença la folie photographique, une folle épopée où au cours d'une seule journée il pouvait m'arriver de voir cinq hommes morts, tous des hommes avec une famille. Et malgré l'horreur de toutes ces scènes, je m'efforçais de conserver en moi un peu de poésie... Mais quels que soient les mots, je n'arrive pas à exprimer combien ces années, les dernières des années 70, furent difficiles – et ce n'était que le début. Mais elles ne furent pas perdues. Il est important de souligner que depuis lors, quelques personnes, dont moi-même, le maire Leoluca Orlando et d'autres, ont uni leurs efforts, ont combattu côte à côte, même si rien n'est encore gagné...

Lorsque j'ai arrêté la photo pour faire de la politique - d'abord comme conseillère municipale, puis comme conseillère régionale, et enfin encore une fois comme conseillère municipale – j'ai eu des scrupules, pensant avoir trahi la photo, et même le combat, puisqu'à mes yeux mon appareil était ma seule arme. Mais je me suis ensuite rendu compte que c'est le même élan qui me pousse à photographier et à faire de la politique, le même désir de me battre, de rester sur la ligne de front. Et grâce à un travail différent, je peux atteindre des objectifs différents. Ainsi, en dépit des obstacles et des difficultés, nous avons passé les années 80 à faire de la politique, des photos, des publications, des réunions et des manifestations contre la mafia. Je pense que ma vie a vraiment commencé lorsque j'ai pris en main un appareil-photo. C'est à ce moment que j'ai acquis ma liberté en tant que personne, ma voix...

La liberté n'a pas de prix, c'est un bien extraordinaire... Je me suis toujours considérée comme un être, une fille, une femme, libre. J'ai toujours pensé que ma liberté était un droit. Cette idée m'a accompagné toute ma vie."

LETIZIA BATTAGLIA (extrait de "Battaglia in Black and White", in "Letizia Battaglia: Passion, Justice, Freedom – Photographs of Sicily).

Exposition réalisée par Aperture et présentée à Perpignan grâce au soutien du Ministère de la Culture.

Letizia Battaglia

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