Prix Kodak du Jeune Reporter 2003

Le Sierra Leone commence à renaître après 10 ans de guerre civile. Une guerre où, comme toujours, il n’y a pas de vainqueurs, mais il y a beaucoup de vaincus. Une guerre dont personne ne sait pourquoi elle commença ni personne ne comprend pourquoi elle fut aussi cruelle. Les désastres provoqués par le conflit sont visibles partout, cependant le pire reste encore caché dans l’esprit de tous ceux qui ont souffert la pression de contempler l’injustice devant leurs yeux.

Or, à présent, un an après la paix imposée à coups de dollars par les Nations Unies, le combat de la société du Sierra Leone est d’essayer de pardonner et d’oublier. Les gens de ce pays vivent avec la seule chose que la guerre n’a pu leur arracher, la foi. Une foi qui se maintient entre le chao des souvenirs passés et les illusions de futur.

Et c’est justement cette foi transformée en illusion dans la vie que Pep Bonet a cherchée lors de son voyage au Sierra Leone. L’attention du photographe s’est portée sur quatre sujets majeurs, auxquels il a travaillé pendant quelques semaines.

bonet_1
bonet2

La foi aveugle. L'institut Milton Margai pour aveugles - Freetown

L’école Milton Margai est un exemple de dépassement et de réintégration des handicapés physiques dans la société. À présent, la seule personne non-voyante qui travaille au Sierra Leone en dehors de l’enseignement pour les non-voyants est un ancien élève de cette école. En effet, l'un des plus grands succès de cette institution a été d’arriver à intégrer dans la société une personne handicapée. Cet exploit est un exemple de la maturité de cette société qui, à l’heure actuelle, après une guerre cruelle, doit redoubler d'efforts pour intégrer un segment de population traditionnellement non pris en charge en Afrique. Dans cette école, les enfants suivent leurs études depuis les premières classes jusqu’à leur entrée en université. Les photographies de cette série constituent un dialogue intime entre les enfants et Pep. Il a pu expérimenter avec la lumière d’une façon totalement libre. Ses images transmettent ce monde d’ombres dans lequel vivent ces enfants, en essayant de refléter la lumière de leur futur.

L'hôpital psychiatrique de Kissy - Freetown

L'asile de Kissy est le seul hôpital psychiatrique du Sierra Leone. Construit à l’époque de la colonisation anglaise et symbole de la médecine de la moitié du XVIIIe siècle, il est aujourd’hui un bâtiment presque en ruines, habité par environ une centaine de patients. Certains y sont parce qu’ils ne savent où aller, d’autres pour avoir commis des délits de sang, d’autres...qui le sait ? Il y a bien un docteur, retraité, et unique psychiatre au Sierra Leone, qui essaye d’aider comme il peut, d’une façon altruiste, une équipe de gardiens qui “maintiennent” la vie dans cet endroit ; il visite une fois par semaine l’hôpital et il suit l'évolution des patients. L’entretien de l’hôpital devient parfois impossible à cause du manque de fonds publics. Mais les chaînes attachent certaines vies au sol et les murs pleins de cris étouffés témoignent du fait que les droits de l’homme ne sont pas bien compris partout. Pep a parcouru pendant quelques jours les différents pavillons et les cellules faisant partie du centre. Chacun des patients a une histoire à raconter. Et il s’agit d’une histoire où le mot guerre est toujours présent. Une guerre qui les a laissés désemparés et assujettis à des thérapies de siècles passés. Mais la fin du temps de la peur leur a donné l’espoir que quelque chose changera et qu’un jour quelqu'un les comprendra...

L'équipe de football des amputés de guerre - Murray Town, Aberdeen, Freetown

L’équipe s’est constituée en février 2001 et elle est composée de vingt-deux joueurs qui vivent au centre pour amputés de Murray Town. Les membres de l’équipe sont tous amputés de guerre et leur passion est le football. L’entraînement commence de bonne heure pour éviter la chaleur africaine. Le bruit des béquilles qui choquent les unes contre les autres rompt le silence matinal. Les effets de la guerre sont nettement visibles en eux, mais la force et la puissance de leur jeu les transforment en de vraies athlètes qui produisent un jeu rapide et spectaculaire. La passion de toute l’équipe devient une arme thérapeutique nécessaire pour pouvoir faire face au futur. En mai 2002, ils ont travaillé dur dans le but de jouer un match au stade national contre l’équipe de malades souffrant de polio. Pep a suivi leur entraînement jusqu’au jour du grand match. C’est l’expression maximale de l’esprit sportif.

L'Église évangéliste "Born-Again Church" - Tower Hill, Freetown

La foi dans sa version plus officielle. L’Église catholique et l’Islam se partagent les fidèles au Sierra Leone. Une cohabitation qui ne semble pas menacée. Born-Again Church est l’une des nombreuses confessions qui existent en Afrique. La responsable de cette église, Sister Dora Dumbuya, organise des prières et des rassemblements dans toute l’Afrique et même aux États-Unis. Pendant les services qui durent plus de sept heures, la foi en Dieu s’exprime à travers le chant, la prière et l'entrée en transe. Pep est allé au rendez-vous tous les dimanches afin de vivre de près cette foi. Il assistait en particulier au “cercle de confession”, où les fidèles se pardonnent mutuellement les atrocités commises dans le passé. Une reconnaissance et un pardon qui permettent de transmettre un sentiment positif au lieu de la haine aux générations qui suivront.

Sergi Agustí

Pep Bonet

pepbonet.jpg
Voir les archives