À la mi-juillet 2017, il paraissait impensable que quiconque soit encore en vie dans la vieille ville de Mossoul, après des semaines d’affrontements dans ce dernier grand bastion de l’État islamique en Irak. Et pourtant, des poches de combattants fanatiques résistaient toujours. Au même moment – effroyable et stupéfiant –, des civils continuaient de surgir des zones de combat.

Dans une base avancée du quartier de Maidan, dans la vieille ville, des membres des forces spéciales ont amené un homme portant un garçon âgé de deux ans à peine. L’homme, pieds nus, vêtu d’un tee-shirt taché de sang et d’un short sale, ne connaît pas l’enfant. Les soldats le soupçonnent immédiatement de s’être servi du garçon comme bouclier humain pour sortir des décombres et ils le mettent à l’écart. La scène était surréaliste. Ces hommes aguerris, ces tueurs professionnels ont alors déposé leurs armes pour s’occuper du petit garçon. Comme si, l’espace d’un instant, l’enfant leur avait fait oublier qu’ils avaient ôté des vies et que des camarades étaient morts au cours des huit derniers mois. Ou peut-être qu’il avait au contraire ravivé leur mémoire.

J’ai passé près d’un an à photographier l’opération militaire visant à reprendre la deuxième plus grande ville d’Irak, le plus souvent aux côtés des forces spéciales irakiennes. J’ai bien sûr photographié les affrontements, des combats urbains qui comptent parmi les plus violents depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais j’ai toujours pensé que ma véritable mission était de témoigner pour ces personnes dont la vie n’était plus que désarroi et tragédie.

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Les photos prises sur le front illustrent mieux que jamais le vieux cliché d’être « pris entre deux feux », civils comme combattants. Puis il y a les images qui montrent l’après-conflit : les habitants qui reviennent dans une ville ravagée pour tenter de reprendre possession de leurs maisons et de leurs vies au milieu des cadavres abandonnés des combattants de Daech ; les familles qui cherchent encore, après des mois, leurs proches disparus. Des centaines de milliers de personnes avaient fui les combats qui ont coûté la vie à des milliers de civils et dévasté une grande partie de la ville.

Mais la reprise de Mossoul était une étape cruciale de la chute de l’État islamique. Au mois d’octobre, la capitale du califat autoproclamé, Raqqa en Syrie, tombait à son tour. Les combattants de Daech ont fini par être acculés sur une fine bande de terre le long de l’Euphrate dans le sud-est de la Syrie, près de la frontière irakienne. La bataille « finale » lancée début 2019 pour les déloger a duré des mois en raison du nombre élevé de civils – principalement des femmes et des enfants – utilisés comme boucliers humains.

À mesure que les forces en présence menées par les Kurdes avec le soutien des Américains resserraient l’étau sur les combattants obstinés de Daech, des milliers de personnes, brisées et en état de choc, sortaient de ce réduit. Elles croupissent désormais dans des camps de détention, avec une faible présence militaire, dans le nord de la Syrie. Elles scandent toujours les slogans du groupe terroriste et affirment que l’État islamique se relèvera. Le combat contre Daech et son idéologie toxique est loin d’être terminé.
Ivor Prickett

Ivor Prickett

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