“J’ai fait la connaissance de Gustavo en 1986. C’était un petit garçon de sept ans qui vivait dans l’un des centres d’accueil pour enfants de la rue du Padre Chinchachoma, à Mexico. Son désir le plus profond était de retrouver son père, ses frères et ses soeurs. Je l’ai suivi jusqu’à Taxco. lorsqu’il est arrivé à la maison, sa soeur, qui avait ouvert la porte, refusa de le laisser entrer et nous demanda de partir: “Personne ne veut de lui ici!”.
Gustavo a pleuré pendant tout le trajet du retour. Comment réconforter un petit enfant que sa propre famille rejette? Comment lui expliquer qu’il n’a pas sa place auprès de son père, de ses frères, de ses soeurs? Je ne pouvais pas comprendre comment cela pouvait exister.
Quelles sont les conditions sociales et économiques qui obligent les parents à délaisser leurs propres enfants? Et qu’advient-il des enfants qui grandissent sur les trottoirs de la ville, seuls et sans amour?

Au cours des dix années suivantes, je me suis régulièrement rendu à Mexico. J'ai appris à connaître les différentes bandes d'enfants des rues, qui me reçurent avec curiosité. Au départ, certains me regardaient avec suspicion, mais ils m'ont finalement accepté. El Muletas ne pouvait pas marcher sans ses béquilles; parce qu'on les lui volait souvent, El Gordo le portait pendant des jours jusqu'à ce qu'ils en trouvent une autre paire. Manuel était le chef de bande, et tenait les autres enfants sous ses ordres. Une fois, ils tuèrent un homme pour presque rien.

Manuel servait de Padre aux autres. El Pelón, lui, se replia vite sur lui-même: il arrêta de rire, de jouer, de se battre, et ne travailla plus avec les autres enfants. Il ne dormait pas dans l'abri. Il ne caressait pas les chiens ni ne se battait avec eux; au lieu de cela, il allait seul de maison en maison, quémandant nourriture et vêtements. Un jour, il n'est plus revenu.

Juán Junior a soutenu Shaggi, malade du sida, pendant ses derniers jours. El Guero et El Flaco quittèrent la rue pour l'un des foyers de Padre Chinchachoma, et commencèrent à aller à l'école. Martha avait trois enfants en bas âge. Lorsqu'elle sniffait du solvant, elle devenait violente et pouvait donner des coups de couteau à n'importe quel homme dans les parages. El Chiquilín vivait dans la rue parce que son beau-père le battait. Lorsque celui-ci fut incarcéré, El Chiquilín retourna chez sa mère. Mimí tomba enceinte en prison, accoucha à l'hôpital et quitta la maternité deux jours plus tard, son nouveau-né dans les bras. Les enfants les plus jeunes lui apportaient de la nourriture et l'aidaient à s'occuper du bébé, auquel elle ne donna jamais de nom. La bande l'appelait El Niño, "L'enfant", tout simplement.

Ce livre est dédié à El Niño et à tous les autres enfants que j'ai connus dans la rue."

Kent Klich

Une exposition co-produite avec les galeries FNAC. Kent Klich exposera à la Fnac Forum des Halles du 11 janvier au 4 mars 2000.

Kent Klich

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