Lauréat·e : Visa d'or de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik 2006

L’histoire moderne du Népal est celle de la lutte qui oppose une monarchie farouchement traditionnelle à un peuple déterminé à révolutionner le pays de façon durable. La dynastie des Shah a conquis et unifié cette nation himalayenne il y a 238 ans et ancré son pouvoir dans la croyance que les rois sont la réincarnation du dieu Vishnu. Son règne et l’organisation du pays reposent sur la stricte observance du système hindou des castes. Au fil du vingtième siècle, les Népalais ont vu la révolution balayer la planète, de la Chine à Cuba, mais, depuis plus de cinquante ans, toutes leurs tentatives pacifiques de démocratisation et de réforme sociale ont été contrées. Puis, en 1996, une faction gauchiste a décidé de se distancer des grands groupes politiques, de passer dans la clandestinité et de lancer une révolution armée contre la monarchie. Dirigés par un insaisissable commandant qui s’est lui-même donné le nom de Prachanda, qui signifie « le féroce », les rebelles appliquent à la lettre la stratégie insurrectionnelle de Mao Tse-Tung. Bien qu’incroyablement démodées dans l’après-guerre-froide, ces tactiques ont fonctionné et les maoïstes ont pris le contrôle de la quasi-totalité des zones rurales népalaises. Au fur et à mesure de leur progression, ils ont brûlé les commissariats de police et pillé les armes du gouvernement. Les villageois, qui depuis des siècles observaient les règles et rituels du système de castes, ont été regroupés et soumis à des programmes de propagande permettant aux rebelles de prêcher le modèle égalitaire marxiste. Cette idéologie s’est avérée particulièrement efficace pour recruter des femmes et des intouchables dans l’armée des rebelles. En effet, dans les zones rurales du Népal, ces deux groupes se voient constamment refuser le droit à l’éducation et sont privés de leurs droits politiques et d’un statut social.

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Au cœur de la stratégie maoïste, une provocation froidement calculée du palais et de l’armée royale, une technique que Che Guevara appelait « contradictions exacerbées ». A chaque nouvelle menace, le gouvernement a réagi comme prévu par une répression de plus en plus forte et un usage de la force disproportionné. L’Etat a alors déclaré que les maoïstes étaient une organisation terroriste et des millions de dollars d’assistance militaire ont afflué en provenance des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de l’Inde. En 2004, la violence régnait dans quasiment tout le pays et le nombre de victimes s’élevait à plus de 10 000. Les Nations Unies constataient une nette augmentation des violations graves des droits de l’homme et, en fin d’année, le Népal comptait plus de détenus « portés disparus » en détention qu’aucun autre Etat au monde. Dans le même temps, les maoïstes recrutaient des enfants soldats à peine âgés de 14 ans. En février 2005, la situation s’est encore détériorée lorsque le Roi Gyanendra Shah a fait arrêter les leaders des principaux partis politiques, a muselé la presse, coupé les services de télécommunication dans tous le pays et s’est emparé des pleins pouvoirs. Les tentatives de protestations contre cette prise de pouvoir ont été contrées par des arrestations collectives. Par la suite, à chaque nouvelle manifestation contre la monarchie, un couvre-feu avec ordre de tirer à vue a été imposé. C’est à ce moment que les maoïstes ont pris contact avec les partis politiques écartés du pouvoir et leur ont proposé d’unir leurs forces pour renverser le Roi Gyanendra. Ce plan a été mis à exécution en avril 2006. Bravant le couvre-feu, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues en brandissant le drapeau de leur parti, et pour brûler des effigies du roi et du prince héritier. La police a ouvert le feu sur les manifestants et tué vingt-et-une personnes dans l’ensemble du pays, mais la vague de colère contre le palais n’a pas faibli. Le 24 avril, après trois semaines d’anarchie dans les rues de Kathmandu, le Roi s’est exprimé à la télévision et, laconiquement, a lu une brève proclamation. Il a relâché sa prise sur le pouvoir exécutif et réinstauré le parlement. Ainsi s’achève le règne absolu de Gyanendra au Népal.

Tomas van Houtryve

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