« Puissants Seigneurs, je viens d’Irlande en toute hâte Pour vous informer que les rebelles ont pris les armes Et passent les Anglais au fil de l’épée. Envoyez des renforts, Seigneurs, pour vite arrêter cette furie, Avant que la blessure ne soit incurable, Car prise à ses débuts, il y a bon espoir d’y remédier. »
William Shakespeare, Henry VI (2e partie)

Infortunée et misérable Irlande, l’île aux 150 royaumes gaéliques, « colonie » anglaise depuis plus de sept siècles, qui n’en finit pas de lutter : en mai 1981, un de ses fils, Bobby Sands, suivi par neuf de ses compagnons, décide d’offrir sa vie à la cause de l’indépendance.
Robert Emmet, leader nationaliste déjà martyr, écrivait le 20 septembre 1803, la veille de son exécution : « Quand mon esprit sera porté vers des rivages plus accueillants, quand mon ombre aura rejoint l’armée des héros martyrisés qui ont versé leur sang sur l’échafaud ou le champ de bataille pour défendre leur pays et le Bien, voici mon espoir : je souhaite que mon souvenir et mon nom animent ceux qui me survivront. »
Rien ne change, ni les hommes, ni les événements. De Margaret Thatcher, la Dame de fer, impitoyable jusqu’à la fin, l’Histoire renvoyait au cruel Oliver Cromwell, lord-protecteur de la Couronne au XVIIe siècle, dont James Joyce trace le portrait dans Ulysse : « Cromwell le moralisateur […] qui passe les femmes et les enfants de Drogheda par le fil de l’épée avec les mots de la Bible “Dieu est amour” collés autour de la gueule de son canon. »

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C’est cette Irlande passionnée, indomptable et indomptée que j’ai photographiée avant, pendant et après le martyre de Bobby Sands.
Pays le plus pauvre de l’Europe dont l’Angleterre avait tiré toutes les ressources, épuisé toutes les énergies… Ce pays que Jonathan Swift racontait dans son Bref exposé sur l’état de l’Irlande en 1728 : « Les gens misérablement vêtus, nourris, logés. La plus grande partie du Royaume réduite à l’état de désert. Les vieilles gentilhommières et maisons de campagne en ruine – et pas une maison neuve à leur place. Les familles des fermiers que les loyers énormes obligent à vivre de petit-lait et de pommes de terre, crottés, crasseux, sans bas ni souliers, et sans autre toit qu’un taudis bien pire qu’une porcherie anglaise. »
C’est cette Irlande-là que j’ai rencontrée dans ces mois terribles de 1981. Et cet homme, Bobby Sands, et ses compagnons – quelques actions qu’ils aient commises, l’histoire sera juge – ne méritaient pas cette fin atroce. Saint Augustin, un des quatre pères de l’Église occidentale, définissait ainsi la « grâce » : mémoire, intelligence et volonté. C’est bien ce dont il s’agit.

*Yan Morvan *

« Si je pouvais t’offrir le bleu secret du ciel, Brodé de lumière d’or et de reflets d’argent, Le mystérieux secret, le secret éternel, De la vie et du jour, de la nuit et du temps, Avec tout mon amour je le mettrais à tes pieds. Mais moi qui suis pauvre et n’ai que mes rêves, Sous tes pas je les ai déroulés. Marche doucement car tu marches sur mes rêves. »
William Butler Yeats

Yan Morvan

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