Le regard au ras de leur tranchée boueuse, les soldats ukrainiens chargés de défendre une malheureuse parcelle de terre ensanglantée dans la région du Donbass sont suffisamment proches pour regarder les soldats russes droit dans les yeux.
Nous sommes à l’hiver 2023, un an après que le président Vladimir V. Poutine a ordonné à son armée d’envahir le pays, avançant des arguments infondés selon lesquels l’Ukraine serait dirigée par des nazis. Aujourd’hui, ses combattants tentent désespérément une nouvelle avancée dans l’est de l’Ukraine.

Après plusieurs tentatives échouées de percer les lignes ukrainiennes malgré des attaques incessantes qui ont laissé des villes et villages entiers en ruines, les commandants russes déploient à présent des vagues de soldats, dont beaucoup enrôlés dans les prisons russes, mal entraînés et menacés de violences physiques s’ils battent en retraite.

Depuis le début de l’invasion, Tyler Hicks, photographe pour le New York Times, travaille presque exclusivement dans le Donbass où il est témoin des combats rapprochés et de la destruction de cette région.

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Tandis que les combats continuent de faire rage, dans les tranchées les soldats ukrainiens n’ont souvent qu’un seul mot pour décrire la guerre : l’enfer. Et dans les différents cercles de l’enfer à l’est de l’Ukraine, il n’est de lieu plus emblématique de la barbarie de la guerre que Bakhmout.

L’anéantissement de cette ville de l’est du pays ne s’est pas produit en un jour. Ce sont plusieurs mois de combats féroces qui ont transformé ce lieu autrefois paisible, réputé pour son vin mousseux, en un sinistre tableau de destruction et de mort. Les forces ukrainiennes ont fait face aux balles, aux obus et aux drones d’attaque. Au milieu des décombres de la ville dévastée, ils ont été confrontés à des barrages d’artillerie, des frappes aériennes et des tireurs embusqués. Les champs et la terre éventrés par les cratères et les tranchées évoquent des scènes de la Première Guerre mondiale et certains des champs de bataille les plus meurtriers d’Europe, tels Verdun et la Somme.

Lorsque les frappes russes ont commencé, des civils vivaient encore à Bakhmout, et alors même que la destruction autour d’eux s’amplifiait, des milliers d’habitants ont refusé de fuir. Mais jour après jour la situation n’a fait qu’empirer. À l’automne, les rares personnes qui restaient se sont réfugiées sous terre, à l’abri du pilonnage sans répit.

Les militaires entendent encore régulièrement les mêmes prédictions qui annoncent que la ville tombera bientôt. Mais ils suivent leurs ordres, et jusqu’à présent le chœur des sceptiques s’est trompé. Un nouvel adage est apparu dans le lexique ukrainien : « Bakhmout résiste. »

À Noël, 90 % de la population avait fui. Il ne restait plus que les plus démunis, les personnes handicapées et celles trop âgées pour se déplacer. Au fur et à mesure que la ville se transformait en garnison militaire, les civils disparaissaient, remplacés par les visages épuisés des soldats qui tentaient de survivre au cœur de cette violence incessante. Des deux côtés, le nombre de victimes est monté en flèche, mais près d’un an après le début des bombardements de Bakhmout par la Russie, la ville était encore debout.

Bakhmout est désormais emblématique du sacrifice, du prix à payer à cause de l’invasion injustifiée de l’Ukraine par la Russie. Les images de Tyler Hicks constituent un témoignage saisissant de cette destruction.

Tyler Hicks

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Gaelle Girbes
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