10 février 1971. Le silence se fait, soudain, dans le bureau de l’agence Associated Press à Saigon. Le chef de bureau vient juste de prendre la communication de l’un des reporters d’AP qui couvrent l’invasion du Laos par l’armée sud-vietnamienne. Il prend note et s’efforçant de se concentrer car la ligne est mauvaise : « Un hélicoptère de la Vietnamese Air Force a été abattu au Laos… ceux qui étaient à bord sont portés disparus et présumés morts… parmi eux, quatre photographes de presse civils… Henri Huet d’Associated Press…Larry Burrows de Life… Kent Potter d’United Press International…Keisaburo Shimamoto de Newsweek… » Tous les visages de l’équipe reflètent l’incompréhension. Quatre journalistes sont portés disparus. Leurs amis. Et Henri. Non, pas Henri.

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Depuis 1965, les journalistes d’AP partagent le quotidien du photographe français. Il est apparu un jour, amené par Eddie Adams qui l’a convaincu de quitter UPI pour rejoindre AP – la meilleure façon, selon le photographe américain, de neutraliser son principal concurrent. Petit, le cheveu sombre, le sourire éclatant et le teint buriné, il parle anglais avec un fort accent français. Il est métisse, né à Dalat en 1927 de père français et de mère vietnamienne. Élevé en France, il a fait les Beaux Arts à Rennes, en Bretagne. Son expérience de la photo de guerre, c’est dans l’armée française, depuis 1950, qu’il l’a forgée : il s’est engagé dans le but d’être affecté au Vietnam où son père vit toujours. Cela fait donc vingt ans qu’il parcourt les routes de la péninsule, muni de ses appareils photo. L’Histoire et le goût de l’aventure ont fait le reste. Sur le champ de bataille, Henri Huet est autosuffisant, rapide. Il se faufile au cœur de l’action sans se faire remarquer et se positionne toujours à la bonne distance. Pour déclencher, il sait prendre son temps. Certains se souviennent qu’il leur a appris à survivre sur le champ de bataille, certains qu’il n’est avare ni de conseils, ni de son temps, d’autres qu’il est toujours prêt pour une bonne plaisanterie. Il rapporte ses films à Saigon, épuisé, amaigri, couvert de la terre du Vietnam. Ses photos paraissent dans les journaux du monde entier. Il saisit tous les visages de la guerre. Ceux de la détresse des soldats, ceux de la terreur des civils et ceux des enfants. Il y a eu aussi ce jour de janvier 1966 où il rapporte du combat tant de bonnes photos que le rédacteur en chef photo ne sait pas où donner de la tête. Et Larry Burrows, le célèbre photographe de Life, déclare en voyant la photo du médecin Thomas Cole, le visage enveloppé de bandages, apportant des soins à un autre soldat : « C’est la une de Life ! ». Ce reportage vaut à Henri Huet le prix Robert Capa. L’année suivante, en septembre 1967, il ne peut échapper au feu. Il est sérieusement blessé à Con Thien. Évacué, opéré, il est éloigné du champ de bataille pendant quelques mois. Il est à peine rentré au Vietnam que les missions sur le terrain se succèdent à nouveau. Mais en juin 1969, la direction d’AP, inquiète des dangers qu’il court, le persuade d’accepter un transfert à Tokyo. Le Vietnam lui manque. Le prétexte de l’invasion du Cambodge, en mars 1970, est tout trouvé : le bureau de Saïgon manque de bras et demande qu’on renforce son équipe. Henri obtient son transfert. Il est à nouveau chez lui. Il suit de près les opérations militaires au Cambodge. Ses courriers traduisent son inquiétude et son épuisement, et ce d’autant que l’invasion du pays s’accompagne de la disparition de nombreux journalistes. En février 1970, l’invasion du Laos, que préparent, depuis quelques mois, Sud-Vietnamiens et Américains, devient bien réelle. Les journalistes se groupent à la frontière, à Khe Sanh. Le temps est pluvieux, l’attente pénible. Henri Huet fait parvenir à Saigon ce qui deviendront ses dernières pellicules. Le 9 février, l’officier qui commande la force sud-vietnamienne d’intervention au Laos convie des journalistes à l’accompagner dans son inspection du front. Quatre photographes civils montent le lendemain dans l’hélicoptère : Larry Burrows, Kent Potter, Henri Huet et Keisaburo Shimamoto. Peu avant midi, les appareils décollent et se dirigent vers le Sud. L’hélicoptère de presse s’égare sans doute sur le terrain montagneux de la piste Ho Chi Minh. Les batteries nord-vietnamiennes sont en place.

Hélène Gédouin, 8 mai 2006

Henri Huet

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