Voici une phrase célèbre que déclamait un poète d’Amérique centrale aux Mexicains au début du XXe siècle et que le dictateur Porfirio Diaz reprit pour l’ériger en slogan contre le pays voisin du Nord. Après son indépendance en 1821, le Mexique constituait un vaste territoire qui comprenait les actuels États nord-américains de Californie, du Nouveau Mexique, d’Arizona et du Texas et s’étendait jusqu’au Honduras.

Cent cinquante-trois ans plus tard, après la perte de 2 millions de km2 du territoire mexicain en 1848, la péninsule de la Basse-Californie, située au nord-ouest du Mexique, continue de maintenir des forts liens avec les terres du sud de cette frontière nord.

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La détérioration des conditions de travail pousse des millions de Mexicains à traverser la limite, pour des raisons aussi bien géographiques qu'historiques, puisque la deuxième ville la plus peuplée de Mexicains, après Mexico, capitale du pays, est Los Angeles. Désormais, la construction d'une muraille en fer s'étend le long de l'État de la Californie et au-delà, pour finalement déboucher sur un une division artificielle, un gigantesque mur de tuyaux métalliques entassés, qui heurte le paysage du littoral. Cette délimitation, construite à partir des plaques de métal provenant des pistes d'atterrissage des avions de l'OTAN lors de l'opération «Tempête du désert», s'érige comme une sorte de volonté de politique antimigratoire malgré le Traité de Libre commerce (ALENA) avec le Mexique et le Canada. À l'ombre du port de San Diego, Tiruana est, encore aujourd'hui, l'une des villes les plus inhospitalières du pays. Le coût de la vie y est l'un des plus élevés si l'on considère le salaire des ouvriers des industries transnationales qui se sont installées dans toute la région. Comme pour toute ville de passage, le but principal des habitants est de partir dès que possible, traverser «de l'autre côté», soit parce qu'ils ont de la famille au «gabacho» (aux États-Unis), soit parce qu'on leur a proposé un travail, même illégal. Des hommes, des femmes, des jeunes, des familles entières arrivent ici avec l'espoir de passer la ligne, mais certains ne concrétisent jamais ce voyage, soit parce qu'ils sont victimes des célèbres «polleros» (passeurs), soit parce qu'ils paient des conséquences d'un train de vie décadent.

Pensant qu'un jour ils quitteront Tiruana, ces jeunes entrent dans un cercle vicieux et, généralement, vivent dans des trous, sous les routes ou dans les rues, où leur vie leur échappe. Ils survivent de la prostitution tant que leur corps est capable de susciter le désir ; après, ils deviennent délinquants, ils mendient. Jour après jour, ils voient leur vie se raccourcir et le voyage aux États-Unis n'existe plus que dans leurs rêves ou lors de leurs rares instants de lucidité, entre le syndrome d'abstinence et la faim. Certains laissent passer parfois quinze ans avant de se décider à demander de l'aide (il faut dire que personne ne leur en offre beaucoup) pour surmonter la dépendance aux substances et à la rue. Ils essaient de retrouver des forces pour mener à terme l'idée qui les a conduits ici, à la recherche du «dollar dream».

Il y en a très peu qui adhèrent à des programmes d'aide contre les dépendances : un pourcentage élevé de ces jeunes, garçons et filles, sont séropositifs ou porteurs du virus du sida, transmis par voie sexuelle ou à travers les seingues hypodermiques d'héroïne. Certes, la mort a croisé leur chemin mais ils reçoivent maintenant une assistance médicale. Même si c'est bien tard, il est important pour eux de savoir qu'ils ne sont plus seuls, ni tellement loin des États-Unis.

Xochitl Zepeda Blouin et Xolotl Salazar

Xolotl Salazar Bonilla

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