Timor oriental : les rêves brisés de l’indépendance
Agnès Dherbeys
En février 2006, le maître d’école Salvador Sista – seul habitant du village d’Alienbata à vivre dans une maison en dur - me confiait que « la vie (économique) était quand même moins dure sous occupation indonésienne ». Un sentiment d’amertume ahurissant et paradoxal, si l’on sait combien l’indépendance du Timor oriental a été chèrement et cruellement acquise. Timor a passé 4 siècles sous administration portugaise, et plus de deux décennies sous le joug féroce de l’armée indonésienne. Les efforts diplomatiques des Timorais en exil, soutenus à l’intérieur par la vaillante guérilla indépendantiste Falaintil ont fini par payer. Enfin! Le Timor célébrait son indépendance dans une exaltation contagieuse en 2002, après la transition onusienne. Lors de mon premier voyage au début de l’année 2006, j’ai pourtant photographié un Timor appauvri, un Timor toujours sous perfusion internationale, un Timor où la beauté langoureuse du paysage et l’hospitalité des habitants ne dissimulent pas la déception des lendemains de l’indépendance.
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Le pays est en effet confronté à d’énormes défis, manquant de tout - à commencer par une main-d’oeuvre qualifiée, alors que tout est à reconstruire et construire : des routes, des hôpitaux, des écoles. Mettre le pays sur la voix du développement en créant des emplois – alors que les secteurs économiques du pays sont presque inexistants hors administration publique (60% de la population est au chômage, la moitié vit avec moins d’1 euro par jour). Inventer un système judiciaire et pénal. Canaliser l’ardeur d’une génération perdue : celle presque trop jeune pour se souvenir de l’occupation, éduquée dans des écoles indonésiennes, pourtant au chômage, et désormais perdue au milieu des énormes voitures 4x4 des ONG et de l’ONU. Tant de frustrations, autant de suspicions, tellement de pauvreté... Les indicateurs étaient dans le rouge bien avant avril 2006 ; comme si le chaos n’attendait qu’une bonne excuse pour éclater. Ainsi, le départ de la moitié de l’armée F-FDTL - ceux de l’ouest du pays appelés les pétitionnaires qui se plaignaient de discriminations - a vite dégénéré en un conflit dit ethnique. Les violences entre la police et l’armée ont de facto laissé le pays sans aucune sécurité. Les gangs ont retrouvé toute leur vigueur des premiers jours de l’indépendance. En mai 2006, j’ai retrouvé le Timor toujours frustré, mais désormais violent. Même si la problématique ethnique était une parfaite inconnue jusqu’ici, il faut bien admettre qu’au bout de centaines de maisons incendiées selon l’origine du propriétaire, et sans compter les 37 morts et 155 000 personnes (1/5ème de la population) forcées à se réfugier dans les camps, elle est bel et bien devenue réelle. La gravité de la situation a imposé le retour d’une force armée internationale, mandatée par l’ONU. La population s’est armée de machettes et de cailloux, pendant que les soldats australiens, malaisiens, ou néo-zélandais tentaient de confisquer les armes automatiques, restées ou entrées illégalement dans le pays. Depuis, l’UNPOL, la police Onusienne composée de plus de trente nationalités est aussi revenue, garantissant une accalmie relative mais nécessaire pour la tenue des scrutins parlementaire et présidentiel de 2007. La vie dans les camps s’est normalisée, l’administration a d’ailleurs mis en place un système d’inscription sur les listes électorales pour ceux qui sont réfugiés trop loin de chez eux. La campagne de la présidentielle s’est déroulée dans une atmosphère explosive, symptôme des blessures encore fraîches du petit pays. Des supporters peints aux couleurs de leur candidat posaient fébrilement devant les caméras. Malgré tout, c’est pour un prix Nobel de la paix que le Timor a voté majoritairement : José Ramos-Horta. Peut-être tout un symbole exprimé dans ces résultats, comme l’avait été l’élection en 2002 de son prédécesseur, Xanana Gusmao le héros de la résistance. En avril dernier, la journaliste Solenn Honorine citait un ancien guérillero Falaintil : « Parfois je me dis que l’on n’était pas si mal sous l’occupation indonésienne. Oui, c’était la guerre, mais au moins on luttait ensemble au lieu de se battre entre nous ». Une amertume qui rappelle les frustrations que me confiait Salvador Sista un an et demi avant... Sauf qu’aujourd’hui, le Timor n’est plus seulement pauvre. Il est divisé, incapable de se gouverner, ni d’assurer sa sécurité nationale.
Agnès Dherbeys