En 2013 et 2014, un cycle infernal de massacres en République centrafricaine a entraîné la mort de milliers de personnes et le déplacement de populations entières. Au plus fort des violences, les forces de maintien de la paix n’ont pas réussi à mettre un terme à la terreur. Le registre mortuaire de la morgue de Bangui, la capitale, ressemble à un chapitre de L’Enfer de Dante : chaque page fait mention de personnes tuées à coups de machette, par balle ou dans des explosions, ou encore torturées, lynchées, brûlées vives. L’odeur pestilentielle qui envahit la morgue empêche d’y rester. Lors des pires journées, on ne fait que compter les morts, sans noter ni leur nom ni la cause du décès, puis on les enterre dans des fosses communes. La morgue témoigne à elle seule des ravages provoqués par la violence qui fait rage en République centrafricaine.

En 2013, les combattants de la Séléka, musulmans pour la plupart, se sont emparés de Bangui et ont renversé le gouvernement. Ils ont fait régner la terreur, tirant au hasard sur des civils terrifiés et brûlant de nombreux villages, entraînant ainsi des déplacements massifs et une crise humanitaire. Les milices chrétiennes et animistes, les anti-balaka (balaka signifie « machette » en Sango, la langue locale), se sont soulevées avec fureur contre la Séléka et s’en sont prises aux civils musulmans pour se venger, jurant de purger le pays de toute population musulmane.

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Devant l’inquiétude de la communauté internationale face à la violence croissante, la France a envoyé des soldats début décembre 2013. Un mois plus tard, Michel Djotodia, chef de la Séléka autoproclamé président, a été forcé à l’exil par les puissances régionales et internationales. Jusque-là pleins d’assurance, les généraux de la Séléka ont alors tenté de fuir, craignant pour leur vie et espérant échapper aux menaces physiques et à la justice. L’arrivée des soldats français de l’opération Sangaris a été accueillie avec optimisme, du moins au début, car les forces françaises de maintien de la paix, déconcertées par le degré de violence, n’ont pas été en mesure d’y mettre un terme. Leur mission initiale consistait à désarmer les combattants de la Séléka, mais ils ont dû ensuite s’atteler à la tâche bien plus ardue de régler la question des milices anti-balaka.

La présidente intérimaire, Catherine Samba-Panza, ancienne maire de Bangui surnommée Mère Courage, a pris ses fonctions mi-janvier 2014. Elle a promis de réorganiser les forces de sécurité nationales et de protéger aussi bien les musulmans que les chrétiens. Mais les violences ont continué de s’intensifier. Presque toutes les populations musulmanes de Bangui et de l’ouest du pays ont disparu, certaines massacrées et d’autres contraintes de fuir. Pendant la première moitié de l’année 2014, les populations musulmanes, incapables de se défendre, ont été soumises à la colère des forces anti-balaka et des civils non musulmans furieux ; beaucoup ont été massacrées sans pitié. Des quartiers musulmans entiers de Bangui ont été saccagés et rayés de la carte, comme le quartier PK13 situé à la périphérie de la ville, ou le quartier de Miskine en centre-ville. L’armée tchadienne a évacué des dizaines de milliers de musulmans pour les mettre en relative sécurité, en exil au Tchad.

Au milieu de cette horreur, quelques lueurs d’espoir sont apparues. Après le départ de la Séléka, la vie a repris peu à peu dans de nombreux villages chrétiens, et la reconstruction des maisons détruites a pu débuter. Il y a également des héros qui ont décidé de se dresser contre l’horreur et ont essayé de protéger leurs voisins. Dans le village de Boali, le père Xavier-Arnauld Fagba a lui-même rassemblé plus de 700 musulmans menacés pour les mettre en sécurité dans son église catholique. Il a célébré une messe, entouré des effets personnels des réfugiés musulmans, notamment plusieurs exemplaires du Coran entreposés dans l’église par mesure de sécurité. Il a ensuite conduit ses paroissiens à l’extérieur afin qu’ils serrent la main de leurs voisins musulmans en signe de paix. « Nous ne pouvons pas rester silencieux et détourner le regard face à l’injustice, nous devons faire preuve de courage, a-t-il prêché. Être chrétien, ce n’est pas seulement être baptisé ; les vrais chrétiens doivent vivre une vie d’amour et de réconciliation, pas de massacres. »

Peter Bouckaertn - Directeur de la division Urgences, Human Rights Watch

Marcus Bleasdale

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