La mousson est au centre de la vie et des traditions indiennes. Elle apparaît dans la poésie sanskrite classique comme dans les films de Bollywood. Elle fait et défait la fortune de millions d’agriculteurs qui dépendent de la pluie pour irriguer leurs champs. Elle détermine ce que nous mangeons. Elle a même sa propre musique. Le changement climatique est en train de dérégler la mousson, rendant les pluies saisonnières plus intenses et moins prévisibles. Pire, des décennies de politiques gouvernementales à courte vue laissent des millions d’Indiens sans aucune protection à l’ère des perturbations climatiques, en particulier les plus démunis.

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Parce que l’eau ne se commande pas, les habitants doivent faire avec ce qu’ils trouvent. Dans un village des plaines arides de l’est, ils se regroupent autour d’un maigre ruisseau fétide, seule source d’eau aux alentours. À Delhi, ils pratiquent leurs rituels religieux dans un fleuve qu’ils considèrent sacré, même lorsqu’il est recouvert d’une mousse toxique provenant des effluents industriels. À Chennai, où les robinets sont à sec depuis des mois, les femmes se ruent dehors munies de pots en plastique colorés dès qu’elles entendent un camion-citerne s’arrêter dans leur quartier.

Les pluies sont plus irrégulières aujourd’hui. Il est impossible de prévoir quand elles vont commencer ni combien de temps elles vont durer. En 2019, l’Inde a connu son mois de septembre le plus humide en un siècle ; plus de 1 600 personnes sont mortes dans les inondations, et alors que débutaient les traditionnelles fêtes de la moisson, plusieurs régions du pays étaient encore sous l’eau en octobre.

Plus préoccupant encore, les précipitations extrêmes sont plus fréquentes et encore plus intenses. Au cours du siècle dernier, le nombre de jours de très fortes pluies a augmenté, mais avec des périodes de sécheresse entre deux précipitations plus longues. Les pluies fiables et régulières qui peuvent correctement pénétrer dans le sol sont quant à elles moins fréquentes. C’est une véritable catastrophe pour un pays qui tire la plus grande partie de son eau des nuages.

Le problème est particulièrement critique dans la partie centrale de l’Inde, majoritairement pauvre, qui s’étend de l’État du Maharashtra à l’ouest au golfe du Bengale à l’est. Selon un article scientifique récent, au cours des soixante-dix dernières années, les précipitations extrêmes dans la région ont triplé, tandis que la pluviométrie annuelle a considérablement diminué.

Meilleure assurance de l’Inde contre la sécheresse, l’Himalaya est lui aussi menacé. Les majestueuses montagnes devraient perdre un tiers de leur glace d’ici la fin du siècle si les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter au rythme actuel.

Mais, comme les scientifiques s’empressent de le faire remarquer, le changement climatique n’est pas le seul responsable des problèmes d’eau en Inde. Les décennies de recherche de profit et de mauvaise gestion sont bien plus coupables. Les forêts luxuriantes qui aident à retenir les eaux pluviales continuent d’être défrichées. Les promoteurs ont carte blanche pour bétonner ruisseaux et lacs. Les subventions publiques encouragent la surexploitation des eaux souterraines.

L’avenir s’annonce inquiétant pour les 1,3 milliard d’habitants que compte l’Inde. La Banque mondiale estime qu’à l’horizon 2050, l’irrégularité des précipitations conjuguée à la hausse des températures fera baisser le niveau de vie de près de la moitié de la population du pays.

Pour reprendre les mots de Raghu Murtugudde, chercheur en sciences de l’atmosphère à l’université du Maryland (États-Unis) : « Le réchauffement climatique a déconstruit le concept de mousson… Nous devons laisser de côté la prose et la poésie des millénaires passés et nous atteler à en écrire de nouvelles. »

Réf. : The New York Times, “India’s Ominous Future: Too little water, or far too much”, par Bryan Denton et Somini Sengupta (25 novembre 2019)

Sécheresse et déluge en Inde - Bryan Denton pour The New York Times
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Bryan Denton

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