La Corée du Nord est le pays le plus isolé de la planète. Le nom qui lui a été donné à travers l’Histoire, celui de «Royaume Hermite », semble plus pertinent que jamais. Bien à l’abri des murs d’un régime communiste dur, elle s’appuie sur la soumission totale de son peuple. Ce documentaire photographique a réussi à échapper à la censure. Ces images sont rares car elles ne sont pas passées par le filtre du régime. Fugitives, elles apportent leurs propres réponses à cette « énigme majeure » de l’Asie et mettent un peu en lumière ce pays qui, venant de procéder avec succès à son premier essai nucléaire, est devenu le centre de toutes les attentions. La Corée du Nord est introvertie et insolite, elle vit dans un univers étrange où le temps semble s’être figé. Aux yeux d’un visiteur étranger, le pays tout entier est un anachronisme, image à l’exact opposé de celle que les dirigeants stalinistes souhaitent donner. À Pyongyang, on annonce indifféremment que le pays possède des armes nucléaires alors que, dans le même temps, des camions équipés de haut-parleurs traversent la capitale en diffusant des marches militaires, pour donner l’impression que la Corée du Nord est un fier guerrier qui bombe le torse.

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Depuis 1948, époque à laquelle la République Démocratique Populaire de Corée a été fondée, le régime de type stalinien impose une idéologie autoritaire à son peuple. La guerre de Corée - l’ultime conflit de la guerre froide mais aussi le plus mortel -, s’est terminée en 1953, cependant l’armistice entre le Nord et le Sud reste encore très fragile. Le régime de Kim Il-Sung impose l’autarcie à ses citoyens qui doivent vivre selon les principes du « Juche », le dogme social qui a remplacé l’idéologie marxiste. La Corée du Nord, seul pays au monde encore sous régime socialiste, est une destination interdite aux journalistes étrangers. Seulement un millier d’Occidentaux sont choisis tous les ans à travers différents pays pour visiter la Corée du Nord. A deux reprises, je me suis rendu en République Populaire Démocratique de Corée en tant que membre d’un petit groupe de touristes « du globe » et j’y ai séjourné dix-sept jours. Ayant eu également l’occasion de traverser des régions rurales dont je n’avais jamais vu de photos jusqu’à présent, il m’a semblé important de faire un reportage sur la vraie vie du pays. J’ai dû attendre plus de trois ans avant de trouver le moyen de me rendre en Corée du Nord, car toutes mes tentatives pour obtenir un visa en tant que journaliste avaient échoué. Les photos de ce reportage ont été prises sous le contrôle sévère de trois personnes désignées par le régime et qui ont eu tout pouvoir sur mes velléités de photographier les aspects de la vie au quotidien en Corée du Nord. Dès l’instant où je suis arrivé, j’ai eu l’impression d’assister à une vaste comédie dans laquelle tous les citoyens rencontrés jouaient un rôle. Presque 80% de mes clichés ont été pris clandestinement en ayant recours à plusieurs stratagèmes pour ne pas attirer l’attention de mes gardiens. J’ai souvent eu l’impression d’être un espion en recourant au déclencheur à retardement de mon appareil et généralement sans regarder dans le viseur, même lorsque j’étais dans l’autobus ou dans le train. J’ai essayé de capter l’ambiance du pays et, petit à petit, j’ai pu réunir suffisamment de matériel pour un reportage. Toutes les nuits, j’ai téléchargé en douce mes images sur mon Mp3, à l’insu de mon compagnon de chambre. L’utilisation d’un équipement photo et vidéo en République Populaire Démocratique de Corée est très restreinte et source de beaucoup de problèmes. Les appareils professionnels sont interdits, de même que les objectifs de plus de 150mm, les caméras vidéo, les ordinateurs et les téléphones portables. J’avais emporté deux petits appareils, l’un numérique, l’autre analogique, qui marchaient bien outre qu’ils étaient très silencieux. La plupart du temps, ils étaient cachés au fond de mon sac et je n’étais libre de les sortir qu’au moment où je me trouvais devant un panorama touristique. Devant la statue du Grand Leader, nous avons dû nous incliner et le guide nord-coréen nous a imposé notre façon de photographier le monument. « Quand vous photographierez la statue de Kim Il-Sung, elle devra figurer en entier sur le cliché ; aucune photo de profil ou de dos. » En conclusion, je dirais que mon histoire en dit long sur la façon dont se présente devant l’objectif un pays qui, récemment, annonçait au monde être en possession d’un arsenal nucléaire, et sur sa façon d’exploiter l’événement au moyen d’une mise en scène de propagande aux acteurs bien choisis.

Yannis Kontos

Yannis Kontos

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