Vingt-quatre ans après la catastrophe, les cimetières d’engins militaires et la centrale de Tchernobyl en Ukraine font l’objet d’un pillage en règle. Chaque semaine, près de deux cents tonnes de métal radioactif quittent la zone d’exclusion.

Dans le tumulte qui a suivi l’explosion du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl en 1986, les autorités ont pallié au plus pressé : enterrer certains villages très contaminés. Créer ça et là des tombeaux où devaient rester confinées pour des siècles des tonnes de métaux radioactifs. Entourer Pripyat d’une clôture métallique pour éviter qu’elle ne soit livrée aux pillards. Aménager des plaines surveillées pour entreposer les véhicules exposés aux radionucléides. Même élaboré dans l’urgence de l’évacuation, le dispositif de confinement se voulait exemplaire.

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Mais un quart de siècle plus tard, la plupart des cimetières ont été vidés. Les engins militaires ainsi que des pans entiers de la centrale sont systématiquement décortiqués. Pripyat, la ville où logeaient les ouvriers de la centrale et qui fut évacuée au lendemain de l’explosion, est démontée centimètre par centimètre : fin 2009, les ferrailleurs ont fini de récupérer tous les radiateurs présents dans les appartements. Dès le retour des beaux jours, ils s’attaqueront aux vitres qui ont été largement exposées aux radiations.

Officiellement, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique basée à Vienne en Autriche dit « ne pas être au courant ». Mais depuis la chute de l’Union soviétique et l’indépendance de l’Ukraine en 1991, ce vaste territoire est devenu une zone affranchie, avec ses propres règles et ses luttes d’influence, ses entreprises de recyclage et ses trafics en tous genres. Un État dans l’État, doté de son or noir : le métal.

Preuve de ce commerce parallèle, les affaires criminelles se multiplient. En 2007, un chargement de tubes en cuivre et nickel en provenance du site d’enterrement des déchets radioactifs de Buriakovka a été intercepté à la sortie de la zone. Leur contamination était vingt-trois fois supérieure aux normes en vigueur. En mai 2009, un chargement de dix tonnes de métal dont le taux de radioactivité dépassait les 30 000 microrems (plus de mille fois le seuil autorisé) s’est volatilisé. Dans la nuit du 10 au 11 septembre 2009, une cargaison de vingt-cinq tonnes non traitées dont le taux était treize fois supérieur à la norme légale, essentiellement composée de tuyaux récupérés aux abords du réacteur 4, a été interceptée par les services secrets ukrainiens.

Selon plusieurs observateurs, huit millions de tonnes de métal étaient disséminées sur l’ensemble du territoire de la zone d’exclusion après l’explosion. Il n’en resterait aujourd’hui plus que deux millions, représentant une valeur marchande d’un milliard de grivnas (100 millions d’euros).

Bruno Masi

Guillaume Herbaut

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© Richard Dumas
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